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Médicaments : des inégalités selon le sexe ?

  • Médicaments : des inégalités selon le sexe ?
Article paru dans le journal nº 103

Les femmes sont-elles moins bien soignées que les hommes ? Les médicaments ont-ils des effets secondaires plus importants chez elles ? Ces questions complexes ont des réponses multiples, liées tant à la biologie qu’à la façon des laboratoires de considérer et d'inclure les femmes dans les essais cliniques.

Article mis à jour le 05/07/2022 par La rédaction

Pendant de nombreuses années, les femmes ont été moins représentées que les hommes dans les essais cliniques préalables à la mise sur le marché des médicaments. Cet état de fait est lié à plusieurs affaires qui se sont déroulées aux États-Unis dans les années 1960 et 1970. À cette époque, les conséquences désastreuses de la prise de thalidomide, un sédatif antinauséeux, mais aussi du fameux Distilbène, prescrit en prévention des accouchements prématurés, ont été décelées sur les fœtus de femmes enceintes, chez lesquels ces médicaments ont entraîné de graves malformations, ainsi que des cancers dans le cas du Distilbène. Suite à ces affaires, l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA – Food and Drug administration) a déconseillé la participation des femmes en âge de procréer à des essais cliniques.

Cette position de prudence la FDA a été très critiquée dans les années 1990 pour ses effets pervers. On reprochait tout particulièrement la sous-représentation des femmes dans les essais cliniques touchant aux maladies cardiovasculaires, des pathologies traditionnellement perçues comme masculines et pourtant première cause de mortalité des femmes dans le monde. En 1993, le Congrès américain vote donc une loi pour inclure davantage de femmes, mais aussi de personnes issues de minorités ethniques (également sous-représentées) dans les essais cliniques. Cette décision ouvre la voie vers un changement global concernant la participation des femmes dans les études sur les médicaments.

Depuis, l’Agence européenne des médicaments (AEM) a publié en 2005 un rapport sur le sujet. Celui-ci conclut à une meilleure représentation des femmes dans les essais cliniques par rapport à la prévalence des pathologies observée dans la population féminine. À l’heure actuelle, cette participation féminine se serait en effet grandement améliorée. Selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé), toutes pathologies confondues, elle est passée de 35 % en 1995 à 58 % en 2018.

Le "design" encore trop souvent masculin des essais

L’autorisation de mise sur le marché d’un médicament est précédée de trois phases visant à contrôler son efficacité et à déceler d’éventuels effets indésirables. Les substances testées le sont sur un panel croissant de personnes entre les différentes phases. La première d’entre elles a pour objectif de cerner l’action du médicament et de contrôler une éventuelle toxicité. Dans un second temps, il s’agit de démontrer l’efficacité du produit, confronté à ce stade à un éventuel placebo, et d’établir une posologie. En phase trois, le médicament est administré à une cohorte de malades pouvant atteindre des centaines ou des milliers de personnes. Il s’agit alors principalement de détecter les effets secondaires et d’identifier les populations pour lesquelles le traitement pourrait être contre-indiqué. "Il existe également des essais de phase 4, soit des essais de vie réelle, où l’on teste les médicaments qui ont déjà des autorisations de mise sur le marché pour vérifier s’il n’y a pas eu d’apparition d’effets secondaires sur le long terme ", précise la Dr Marianne Veyri, coordinatrice du réseau oncologie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris.

Si celle-ci témoigne d’une tendance positive concernant la place des femmes dans les essais, elle pointe toutefois des inégalités persistantes. Elles portent selon elle sur une inadéquation entre le protocole (ou " design ") de ces essais et le corps féminin : "Selon le design des essais, les médicaments sont donnés aux participants à des “flat doses”, soit la même pour tout le monde, tandis que d’autres types d’essais prennent en compte le poids." Certains médicaments ne prendraient donc pas en compte les différences de corpulence entre hommes et femmes. La différence ne se jouerait alors pas au niveau des effets mais bien du dosage. "Dans le domaine du cancer, on travaille souvent avec des médicaments à flat dose dont on pense qu’ils ont un peu plus d’effets secondaires chez les femmes ", précise Marianne Veyri. Concrètement, à corpulence moindre, la concentration sanguine de certains médicaments serait trop élevée, entraînant un risque accru de toxicité.

Un exemple marquant de cette problématique a été mis en avant en 2013. Il s’agit d’un somnifère, le zolpidem, un benzodiazépine commercialisé en France sous le nom de Stilnox. Une publication de 2013 par un chercheur américain alertait sur un risque de somnolence accru chez les femmes : en effet, ce médicament resterait deux fois plus longtemps dans leur sang. La FDA avait alors requis de diviser par deux la dose recommandée chez les femmes, soit de la réduire à 5 mg pour chaque prise. En 2019, le même chercheur a établi que cette différence était liée à celle du volume sanguin, directement associée au poids du corps. En France, il n’existe pas de distinction de dosage en fonction du sexe. "C’est souvent comme ça que les choses se passent, les essais sont construits pour les hommes et sont transférés sur les femmes, mais cela ne peut pas correspondre… ", résume la Dr Marianne Veyri. Alors, qu’attendent les législateurs pour imposer un dosage différencié selon le genre ou le poids ?

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Un enjeu de santé publique

En effet, derrière ces débats la parité dans les essais cliniques se cache en réalité un important enjeu de santé publique, avec des conséquences très tangibles. Pas assez de femmes dans les essais cliniques signifie, très concrètement, peu d'information disponible sur les différences de sexe dans l’efficacité d'un médicament, sa tolérance ou ses possibles effets indésirables. Ces derniers sont alors trop souvent découverts en phase 4, c’est-à-dire après leur mise sur le marché. En 2001, aux États-Unis, une note publiée par la Cour des comptes étasunienne (le Government Accountability Office, GAO) et portant sur les médicaments retirés du marché américain depuis 1997, sonnait à ce sujet l’alerte. Sur dix de ces produits, huit avaient des effets indésirables plus prononcés chez les femmes

Comment expliquer ces différences d’effets ? La physiologie différente des hommes et des femmes peut affecter la manière dont un médicament est absorbé, distribué, métabolisé et éliminé par l’organisme ; c’est ce qu’on appelle la pharmacocinétique du médicament. Poids moyen, proportion de graisse et d’eau dans l’organisme, imprégnation hormonale, spécificités dans la métabolisation hépatique, la motilité intestinale ou l’excrétion rénale sont quelques-unes des différences biologiques qui peuvent expliquer comment les médicaments impacteront différemment les deux sexes, à l’instar de certains analgésiques, tranquillisants, bétabloquants. On sait désormais, par exemple, que certains médicaments sont plus efficaces chez les femmes que les hommes (comme l’ibuprofène) et inversement (benzodiazépines, opioïdes) (1).

Femmes et grossesse

La grossesse est un cas particulier qui nécessite une évolution des normes et des procédures pour permettre de mieux appréhender les risques liés à l’utilisation de médicaments. En effet, les femmes enceintes sont très largement absentes des essais cliniques, dont elles sont automatiquement exclues dès qu’il existe une contre-indication.

Dans les faits, cette prudence mène à un manque de données important quant à la dangerosité de nombreux médicaments durant la grossesse. La FDA a ainsi mené une étude sur 172 médicaments autorisés entre 2000 et 2010 portant sur le risque tératogène, soit le risque de malformation du fœtus lié à des substances médicamenteuses. Pour 97,7 % de ces médicaments, le risque était indéterminé. Ce manque de données conduit à des connaissances lacunaires des effets des médicaments et des dosages nécessaires concernant les femmes enceintes. Le risque est connu puisqu’il a été illustré par plusieurs scandales sanitaires d’envergure tels ceux du Distilbène et de la Dépakine.

Le cœur des femmes

Les maladies cardiovasculaires (MCV), notamment l’infarctus du myocarde et l’accident vasculaire cérébral (AVC), représentent la première cause de mortalité chez les femmes dans le monde selon l’OMS ; le cancer du sein n’arriverait qu’en huitième position. En moyenne, les femmes développent ces MCV dix ans plus tard que les hommes et celles-ci, traditionnellement perçues comme masculines, sont souvent mal diagnostiquées et moins bien traitées chez les femmes. Les patientes auraient en effet davantage tendance à présenter des symptômes « atypiques », tels une oppression du thorax, des difficultés à respirer ou des troubles digestifs.

En outre, la représentation traditionnelle de ce type de pathologie étant plutôt celle d’un homme d’âge mûr atteint de comorbidités, la prise en charge des femmes serait plus lente. Les patientes elles-mêmes appelleraient le Samu 15 minutes plus tard que les hommes en moyenne*. Un article de Slate de mars 2021 indiquait même qu’« à symptôme similaire, une patiente se plaignant d’oppression dans la poitrine se verra prescrire des anxiolytiques. A contrario, un homme sera plus facilement orienté vers un cardiologue »… Tout ceci met en évidence l’impact de nos représentations sociales tant sur les diagnostics que sur les soins qui sont prodigués aux hommes et aux femmes…

Du sexe au genre

Catherine Vidal*, neurobiologiste et essayiste française a été chargée en 2020 de rédiger un rapport pour le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. L’objectif de ce travail était de mettre à jour les connaissances et données liées au genre et au sexe dans la médecine. L’auteure fait état d’une situation de moins en moins inégalitaire en termes de place des femmes dans les essais médicaux et d’un suivi des essais des médicaments permettant de contrer de possibles dissemblances.

Selon elle, une partie des différences observées s’expliqueraient moins par le sexe biologique que par le genre, c’est-à-dire l’ensemble des comportements sociaux et représentations culturelles associés à tel ou tel sexe. Des différences dans les pratiques amèneraient notamment un biais dans l’observation et la surdéclaration des effets secondaires des médicaments chez les femmes. "Ces dernières les déclarent plus, notamment parce qu’elles sont souvent poly-médicamentées. Ce biais fait augmenter le nombre d’effets secondaires observés", précise Catherine Vidal.

Ainsi les femmes ayant souvent des traitements multiples, notamment en raison de la prise d’un contraceptif, auraient tendance à plus observer et déclarer des effets secondaires ressentis à la prise d’un nouveau médicament. Catherine Vidal met également en avant le biais inverse chez les hommes, qui prennent en moyenne moins de médicaments et auraient tendance à ignorer certains symptômes consécutifs à la prise de médicaments plus facilement que les femmes. Les études de genre appliquées à la médecine permettraient d’observer des approches différentes concernant la médecine et les médicaments entre hommes et femmes. "Il faut que les approches soient pluridisciplinaires. Intégrer les sciences humaines et sociales dans la recherche médicale est essentiel pour mieux comprendre les inégalités de santé", assure Catherine Vidal.

 

* Catherine Vidal est corapporteuse du rapport " Prendre en compte le sexe et le genre pour mieux soigner ", publié par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes en 2020, et coauteure du livre Femmes et santé, encore une affaire d’hommes ?, éd. Belin, 2017.

Référence

(1) « Sex-Related Differences in Pharmacokinetics and Pharmacodynamics of Frequently Prescribed Drugs: A Review of the Literature », 2019 DOI: 10.1007/s12325-019-01201-3

 

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Alternative Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé


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