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Agence européenne du médicament : des experts sous influence ?

  • Agence européenne du médicament : des experts sous influence ?
Article paru dans le journal nº 52

On s’est ému récemment que l’Agence européenne du médicament (et les emplois qu’elle draine avec elle) déménage de Londres à Amsterdam plutôt que chez nous en France. D’autres motifs d’indignation sont pourtant à l’ordre du jour : elle a été une nouvelle fois pointée du doigt pour son manque de transparence et ses possibles conflits d’intérêts. Comme la révélé la revue Prescrire, l’EMA propose aujourd’hui en toute opacité aux firmes pharmaceutiques des « conseils scientifiques », parfois facturés, pour les aider à faire passer leur dossier de demande d’autorisation de mise sur le marché de médicaments. Une occurrence parmi d’autres d’une longue tradition de possibles conflits d’intérêts qui jettent un doute sur l’indépendance de cette instance d’évaluation.

En 2010, l’Agence européenne du médicament s’était déjà fait taper sur les doigts par le Parlement européen, qui dénonçait à l’époque une « gestion désastreuse des conflits d’intérêts », en s’appuyant sur l’audit réalisé en 2009 par la Commission européenne.

À plusieurs reprises, en effet, des employés de l’EMA se retrouvaient « chefs de projet » pour l’autorisation de mise sur le marché de médicaments commercialisés par des laboratoirespour lesquels ils avaient travaillé auparavant, dont ils possédaient des actions boursières, ou pour qui travaillait leur conjoint. Il arrivait également que des experts ayant participé à l’évaluation d’un médicament ne soient pas enregistrés dans le fichier d’experts de l’EMA, ou qu’il y ait des différences entre les documents papiers et le contenu des fichiers informatiques. Et pour les 11 cas qui ont révélé un risque élevé de conflit d’intérêts et de renvois d’ascenseur, aucune suite n’a été donnée, contrairement à ce qui est prévu par le règlement de l’EMA.

Rappelons que ces données n’ont été rendues publiques qu’en 2012, après deux ans de procédures initiées par l’association Formindep et l’intervention du Médiateur européen, car l’EMA refusait de transmettre les résultats de l’audit... L’agence déclarait avoir réformé ses règles de fonctionnement interne en termes de conflits d’intérêts après que l’Office antifraude européen (OLAF) eut ouvert une enquête en 2011 sur de possibles collusions au sein de l’agence dans l’affaire du Mediator.

Le scandale du vaccin Gardasil, révélateur d’une totale opacité de fonctionnement

En 2016, les accusations d’opacité ne viennent plus d’une association, mais des autorités médicales les plus instituées, à l’instar de la branche nordique du réseau Cochrane, qui qualifie d’« incurie » la manière qu’a eue l’agence de traiter une alerte concernant des effets secondaires graves du vaccin (épuisement, douleurs musculaires ou articulaires durables) remontés par des médecins danois. Leur plainte, étayée par un rapport de 50 pages, pointe du doigt les graves dysfonctionnements de l’agence.

L’analyse d’un rapport intermédiaire confidentiel révèle en effet :

Si ces informations n’ont pu émerger qu’à la suite d’une plainte et d’une fuite, c’est qu’une culture du secret règne dans l’agence, qui soumet ses experts à des clauses de confidentialité (elles-mêmes soumises à confidentialité !) sidérantes :

« Vous êtes tenu à une obligation de confidentialité à vie », avertit le préambule du rapport intermédiaire à l’adresse des experts, précisant que celle-ci « inclut par exemple le fait qu’il y ait eu une réunion, que vous y ayez participé, son ordre du jour, ses participants, tous les éléments de la discussion, son issue, les produits et entreprises concernés ». En outre, toute documentation relative à l’expertise « doit être stockée dans un endroit sûr ou détruite ».

Non, nous ne sommes pas à Interpol, mais bien à l’agence censée évaluer en toute impartialité et transparence les risques associés aux médicaments que des millions de personnes dans l’Union européenne seront amenés à utiliser.

Juge et partie ? Une aide personnalisée et opaque aux firmes pharmaceutiques

Aujourd’hui, la suspicion continue de planer sur les pratiques de l’agence, comme l’a révèlé il y a peu la revue Prescrire. Il est toujours reproché à l’EMA son manque de transparence, notamment dans ses activités de « conseil scientifique» aux firmes pour leurs dossiers de demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM).

De quelle nature sont ces conseils ? Impossible à dire, puisqu’il ne s’agit pas de recommandations publiques et transparentes, mais de conseils personnalisés et confidentiels, parfois rémunérés. De quoi nourrir des doutes sur l’impartialité et la crédibilité de l’agence.

Le recours à ces conseils personnalisés sont-ils un passage obligé pour les  laboratoires pour accéder au grand marché européen ? Ils sont manifestement en tout cas d’une grande aide, car 71 % des demandes d’AMM conditionnelles associées à ces conseils scientifiques ont abouti à une autorisation définitive, contre 40 % de celles qui n’ont pas bénéficié de cette expertise aux contours flous…

Les AMM dites conditionnelles sont des autorisations de mise sur le marché octroyées aux dossiers les moins solides, et pour lesquels des études complémentaires post-commercialisation sont nécessaires pour confirmer que le rapport risque/bénéfice du médicament est bien positif.

Bien sûr, comme le rappelle Prescrire, les chiffres précédents peuvent s’interpréter de différentes manières. Mais cette pratique de consulting a de quoi surprendre : elle serait un peu l’équivalent d’un bachelier obtenant de son futur examinateur des séances de tutorat privées et parfois rémunérées avant l’épreuve.

Le Médiateur européen s’est inquiété de cette activité et demande de la transparence sur ces activités, car l’hypothèse de possibles compromis et jeux d’influences, dus à une trop grande proximité entre les personnels des firmes et ceux de l’EMA, se pose.

Il se pose d’autant plus que la pratique du pantouflage, qui consiste pour les experts de l’EMA à aller travailler après leurs mandats comme consultants très bien rémunérés pour les laboratoires pharmaceutiques, est une pratique courante et dénoncé de longue date et avec force par des associations comme le Formindep, Health Action International, ISDB, Corporate EU Observatory ou ALTER-EU.

Au vu des innombrables scandales engageant des médicaments autorisés par l’EMA, des évaluations critiquées pour leurs méthodologies ou leur biais, des conflits d’intérêts insuffisamment jugulés ou publicisés, le lien de confiance des citoyens avec cette instance de santé ne pourra se retisser qu’à condition d’imposer une transparence totale et des règles de comportement irréprochables… Mais qui, aujourd’hui, est prêt à prendre ce problème à bras le corps ?

 

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Alternative Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé