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"On doit attendre de nos autorités qu’elles soient vigilantes", Jérémy Anso
Docteur en biologie à l’université de la Nouvelle-Calédonie, Jérémy Anso aurait pu se contenter d’étudier les magnifiques ressources de son île natale. Avec une passion, un goût pour l’enquête et un art de la polémique affirmés, il s’est plutôt attaqué aux mensonges des industries agro-alimentaire et pharmaceutique. Son nouveau livre tire la sonnette d’alarme sur les « conseils » nuisant à notre santé.
Alternative Santé. En ouverture de votre dernier livre, vous vous demandez si nos recommandations nutritionnelles et médicales sont « en accord avec la science ». Que cela signifie-t-il ?
Jérémy Anso. Que les recommandations officielles doivent respecter les consensus scientifiques les plus solides, sérieux et indépendants qui existent. Si l’on s’en tient aux études les mieux conduites, les plus significatives, avec le moins – ou pas du tout – de conflits d’intérêts, alors on peut dire que l’on est en accord avec la science.
Vous tranchez la question et estimez que les politiques publiques en matière de santé ne se font pas « avec la science ». Mais alors, que sont-elles ?
Du bricolage. Elles utilisent des résultats qui vont uniquement dans le sens de leurs recommandations. On se retrouve dans une situation où l’on cherche les meilleures études pour valider un raisonnement, alors que la logique serait de faire l’inverse.
Leur objectif d’information et de prévention de la santé auprès des populations serait-il donc contre-productif ?
Difficile à dire. Il y a l’obstination de certains décideurs et de professionnels de santé ayant un pouvoir décisionnaire qui ne souhaitent pas que les pratiques changent. Il y a aussi des conflits d’intérêts, bien sûr. Nombreuses sont encore les recommandations mensongères et dangereuses éditées par des experts qui ont été rémunérés par des firmes agro-alimentaires ou pharmaceutiques. Nos plus hautes instances n’y échappent pas : régulièrement, elles doivent retirer des préconisations honteuses, en total désaccord avec la science, sur fond de conflits d’intérêts non déclarés ou pire, frauduleux.
Vous n’avez pas peur de parler de propagande. Pour vous, la santé en France serait donc davantage une affaire d’idéologie que de soin…
Totalement. On doit attendre de nos autorités de santé qu’elles soient vigilantes et qu’elles utilisent le principe de précaution. Mais elles préfèrent se jeter sur des promesses thérapeutiques, inventées en particulier par des groupes pharmaceutiques. On l’a vu pour le dépistage du cancer de la prostate ou celui du sein, mais aussi dans le traitement des cancers. Des études de très mauvaise qualité impliquant des liens d’intérêts peuvent suffire à instaurer une recommandation nationale. Mais lorsque des recherches indépendantes et sérieuses la mettent à mal, cela n’est pas suffisant pour opérer une remise en question. C’est un véritable scandale !
Vous citez notamment cinquante ans de conseils erronés en matière d’obésité. Pouvez-vous nous détailler lesquels ?
Cela fait des années que les autorités de santé diffusent des directives alimentaires censées prévenir l’obésité en vantant, sans distinction, la consommation de féculents, bien qu’ils comportent des différences significatives entre eux. C’est ce que disent depuis 1997 l’Organisation mondiale de la santé et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, alors que nous savons, depuis vingt ans, qu’il faut utiliser l’index et la charge glycémique pour choisir ses sources de glucides parmi les féculents. Ces autorités n’ont toujours pas « entendu » le message ou refusent de se mettre à la page. Frustrant, non ?
Vous évoquez également les actions du Programme national de nutrition santé (PNNS), lancées en 2001 autour de la campagne « Manger-Bouger ». Qu’en est-il ?
Globalement, le PNNS n’a eu aucun effet positif sur l’état de santé des Français. Il n’est pas le seul responsable, bien sûr, mais il n’a pas su actionner les bons leviers pour réellement aider la population. La seule chose que l’on retient du PNNS, ce sont les slogans et les publicités. En fait, il a manqué d’une véritable volonté politique et de coercition à l’encontre de l’industrie agro-alimentaire pour faire changer les choses. Au lieu d’être exigeant, le PNNS est tolérant et compréhensif. Il fonctionne sur la bonne volonté de l’agro-business pour s’améliorer… Les industriels ont bien saisi qu’ils pouvaient rouler le PNNS dans la farine, et c’est exactement ce qu’ils font depuis quinze ans.
Concernant les cancers, vous dites que les campagnes de dépistage du cancer de la prostate ne réduisent pas la mortalité. Pourtant, de nombreuses opérations sont organisées régulièrement en régions…
Ce sont des aberrations. Et malheureusement, ce ne sont pas les seules. Par exemple, le dépistage du cancer du sein n’est recommandé qu’à partir de 50 ans en France, mais certaines associations de professionnels de santé le proposent dès 40 ans, car c’est plus « rentable ». On marche sur la tête ! La rentabilité des dispositifs passe avant le bien-être et la santé des populations concernées. Pour revenir au cancer de la prostate, seuls les urologues français persistent à nier les risques et les maigres bénéfices du dépistage, et continuent à le recommander à tort et à travers. Derrière cela se cachent des bénéfices importants pour leur pratique clinique, un biais idéologique majeur et des conflits d’intérêts indécents.
Votre livre s’appuie à la fois sur des données politiques et marketing. Comment avez-vous eu accès aux méthodes des lobbies et de l’industrie agro-alimentaire ?
En général, ces données sont publiques, même si elles ne sont pas faciles d’accès. Les documents les plus embarrassants pour l’industrie disparaissent souvent bien vite de la toile. En revanche, certaines actions de lobbying sont accessibles. Par exemple, dans la base de données de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, on trouve des informations sur les centaines de milliers d’euros dépensés par le secteur agro-alimentaire pour influencer les élus de la République. Sans compter que les industriels se vantent souvent eux-mêmes de leurs stratégies de lobbying… Ainsi, les rapports d’activités des entreprises recensent l’ensemble de leurs démarches menées auprès des décideurs, des professionnels de santé, des enseignants et des enfants, ce qui permet de mesurer leur ampleur.
Vous jetez des pavés dans la mare sur des sujets explosifs, que l’on retrouve sur votre site et dans votre livre. Un ton alarmiste est-il nécessaire pour faire passer des messages au grand public ?
Ce ton est à la hauteur des révélations. Il reflète malheureusement la réalité. Des sociétés savantes qui aident les diabétiques d’une main et reçoivent de l’autre des centaines de milliers d’euros de la part de Coca-Cola, n’est-ce pas choquant ? Il est bien difficile de mettre de jolis mots sur autant de scandales et de mensonges. Alors oui, le ton du livre est grave, car les découvertes sont bouleversantes.
Pour quelles raisons endossez-vous ce rôle de sentinelle ?
Parce que je suis choqué de constater que l’obésité et le diabète progressent et que les recommandations ne suivent pas les preuves les plus solides, produites par la science. Je suis aussi outré de voir des professionnels de santé pieds et poings liés par un système complexe qui les empêche, pour la plupart, de se rebeller. Moi, j’ai la possibilité de jouer ce rôle, et je sens que je dois le faire.
Pensez-vous que l’on assiste à une révolution de l’information de santé, dans la mesure où de plus en plus d’individus utilisent blogs, vidéos personnelles et réseaux sociaux pour partager leur expérience, voire donner des conseils de santé ?
Oui, c’est une révolution. Avec ses avantages et ses inconvénients. Jamais l’information n’a été si accessible, et jamais il n’a été aussi simple et rapide de la diffuser au plus grand nombre. Mais ce privilège comporte des travers, comme de voir et de lire tout et son contraire. Une telle diffusion entretient ce que j’appelle une « cacophonie nutritionnelle ou médicale » qui n’aide personne. « L’infobésité », comme certains la nomment, nous invite à faire des pauses, car elle peut nuire à la prise de décision éclairée et même favoriser un sentiment de confusion et de complotisme généralisé.
Dans votre ouvrage, proposez-vous des outils pour permettre aux lecteurs de se faire leur propre opinion ?
Bien sûr. Il faut absolument croiser les sources d’informations et se constituer un panel de sites et de revues d’experts qui produisent du contenu scientifique et médical. Et, bien entendu, revenir systématiquement à l’origine des informations données et vérifier les liens – autrement dit l’indépendance – des personnalités qui s’expriment. Tous les éléments nécessaires pour se forger une opinion indépendante sont fournis dans le livre.
À propos de Jérémy Anso :
En savoir plus : rendez-vous sur www.dur-a-avaler.com
- Santé, mensonges et (toujours) propagande (2018), éd. Thierry Souccar, 256 p., 19,90€
- Jérémy Anso est également l'auteur de Ce poison nommé croquette (ouvrage sous format électronique) sur les dangers de l'alimentation animale industrielle. Ayant infiltré des écoles vétérinaires, il lève le voile sur les produits cachés dans les gamelles de nos chats et chiens.
En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Alternative Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé
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