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Lionel Coudron : notre corps supporte mieux la privation que l’excès

  • "Il n'est pas indispensable de réduire son alimentation progressivement"
Article paru dans le journal nº 50

Médecin, diplômé en nutrition, nutrithérapie, acupuncture, biologie, médecine du sport, psychothérapie EMDR, mais aussi enseignant de yoga depuis plus de 35 ans et directeur de l’Institut de yogathérapie, le Dr Lionel Coudron accompagne de nombreux patients dans leur démarche de jeûne, que ce soit à des fins de bien-être ou thérapeutiques. Son livre, le Guide pratique du jeûne (éd Terre vivante), jette un pavé dans la mare : oui, jeûner est sans danger, à la portée de tous et parfaitement compatible avec une vie active. Pourquoi est-il parfois bon de cesser de s’alimenter ? Que se passe-t-il alors dans notre corps ?

Vous affirmez qu’il est possible de démarrer un jeûne du jour au lendemain sans préparation. C’est surprenant…

Pourquoi faudrait-il se préparer, alors que l’organisme est conçu pour jeûner ? Il y a 20 000 ans, nos ancêtres ne choisissaient pas le moment de démarrer un jeûne. Il n’est absolument pas indispensable de réduire son alimentation progressivement.

Concrètement, que se passe-t-il dans le corps quand on cesse de s’alimenter ?

Lorsque vous n’apportez plus de nourriture à votre corps, vous ne lui fournissez plus de glucides, qui sont son carburant. Il va devoir fabriquer de l’énergie autrement et puiser dans les graisses de réserve qui, en brûlant, vont entraîner la production de corps cétoniques. C’est ce que l’on appelle la cétose. Elle commence à se produire douze heures après l’ingestion des derniers aliments. Pour rester en cétose et maintenir les bienfaits du jeûne, la ration journalière ne doit pas dépasser 450 kcal, l’équivalent de trois fruits, 200 g de fromage ou cinq tranches de pain.

Donc, on peut manger en petite quantité. Mais comment rester en deçà des 450 kcal ?

Il s’agit moins de manger que d’apporter des nutriments énergétiques. La diète protéinée présente l’avantage d’un apport majeur de protéines et de graisses, associé à une réduction calorique et glucidique drastique. Ce n’est pas un jeûne au sens strict, mais elle en procure les mêmes bénéfices. Cela peut aussi passer par des potages de légumes légers : c’est la méthode Buchinger. Ces apports ne rompront pas les effets du jeûne et aideront le corps à s’adapter. Dans tous les cas, je ne recommande pas le jeûne hydrique pur, uniquement à l’eau, qui mène à la fameuse crise du troisième jour…

… qui est ?

Dr L. C. Fatigue, vertiges, crampes, malaises, hypotension et symptômes d’une acidose. Voilà pourquoi on l’appelle « crise de détoxication », mais, pour moi, ce n’en est pas une. C’est simplement le signe de la bascule naturelle en cétose, généralement à partir de 36 heures. Le corps réagit à la fuite de potassium et de sels minéraux. Or, si l’acidose en soi n’est pas dangereuse, il est parfaitement possible d’éviter ces troubles en prenant régulièrement du sel, directement dans la bouche ou dilué dans l’eau. Du simple sel de table fait l’affaire. Je prescris également des complexes à base de potassium, de calcium et de magnésium, qui ont un effet alcalinisant et permettent de prévenir les crampes, la fatigue et les maux de tête.

Comment le corps fait-il pour tenir ?

Dr L. C. Il faut bien comprendre que l’organisme sait produire de l’énergie à partir de ses réserves. Durant les trois premiers jours, il va puiser dans les graisses des muscles et du foie. Quand ces stocks seront épuisés, il pompera dans les tissus adipeux à la recherche d’acides gras qu’il transformera en glucose pour poursuivre son fonctionnement optimal. On appelle cela la « néoglucogenèse ». Au bout du cinquième jour, le processus change : les acides gras vont servir à la fabrication de corps cétoniques, dont le cerveau et les muscles sont très friands car leur utilisation énergétique est plus efficace que celle du glucose. De plus, dans les cellules musculaires, ces corps cétoniques fonctionnent en aérobiose et ne sont pas dégradés en lactate comme l’est le glucose, qui peut ainsi entraîner des courbatures. À ce stade, le jeûne n’impose pas de changer quoi que ce soit à son activité normale, et le corps a suffisamment de vitalité pour aller marcher ou faire du yoga.

En quoi tout cela est-il profitable à l’organisme ?

Le jeûne permet un nettoyage, dont la profondeur dépend de la durée. Pratiqué seul chez soi, j’estime qu’on peut l’expérimenter entre trois jours et deux semaines maximum, sans risque. On l’a vu, durant le jeûne, les cellules se trouvent privées de glucose. Cela représente un stress métabolique qui va les pousser à passer en mode « vaches maigres ». Les cellules saines vont fonctionner à l’économie et les cellules dysfonctionnelles ne vont pas résister et s’autodétruire. De plus, comme la nourriture manque, les cellules détruites vont servir d’aliments en priorité. Ce phénomène d’autolyse et de régénération va à l’inverse des processus de surcharge alimentaire qui provoquent oxydations et inflammations, et sont impliqués dans nos pathologies modernes : dépression, troubles cardiovasculaires, diabète, hypertension, obésité. On peut donc parler ici de jeûne thérapeutique.

Vous soulignez que la mono-diète est la meilleure solution pour un effet détox. Plus que la diète protéinée ou les bouillons clairs ?

L’apport d’un seul aliment, essentiellement à base de glucides d’origine végétale et pauvre en protéines et en lipides, facilite la digestion de cet aliment, alors mieux dégradé dans l’intestin et plus nourrissant pour la flore. Dans ce type de jeûne, les glucides sont apportés par le fruit choisi, composé en général pour moitié de fructose et pour moitié de glucose. La ratio le plus équilibré étant celui du raisin (7 g/7 g). L’apport de légumes et de fruits est également très alcalinisant. En fait, ce qui rend la mono-diète intéressante, c’est qu’elle est plus facile à pratiquer psychologiquement.

Son action sur les processus inflammatoires fait-elle du jeûne une solution anti-cancer ?

Absolument. Durant le jeûne, une hormone importante chute : le facteur de croissance ­IGF-1, impliqué dans le développement des cellules et des tissus. Elle est sécrétée systématiquement par le foie à chaque fois que vous mangez. La multiplication des prises alimentaires et des grignotages tout au long de la journée entraîne sa sécrétion de manière plus ou moins permanente. Si elle est bénéfique aux tissus, elle est aussi néfaste, car elle participe au développement des cellules cancéreuses qui s’en nourrissent. Ce grignotage quasi constant est l’un des facteurs de la multiplication des cancers depuis un demi-siècle. Le jeûne accompagne d’ailleurs très bien les séances de chimiothérapie.

Et sur le plan mental ?

Dr L. C. Après quelques jours, la sécrétion de dopamine, d’adrénaline et de noradrénaline augmente fortement. Sur le plan cérébral, l’adrénaline et la noradrénaline renforcent l’attention, la motivation, la faculté d’adaptation et le plaisir d’agir. Elles exercent une action stimulante sur le cœur, les poumons, les vaisseaux, les reins. Ces effets émotionnels et cognitifs expliquent en partie les bons résultats obtenus dans le traitement par le jeûne de différentes anxio-dépressions et mélancolies. De plus, le jeûne augmente la concentration sanguine en sérotonine (l’« hormone du bonheur »), un neuromédiateur essentiel dans la régulation des émotions. D’où le sentiment de bien-être, de vitalité et de concentration éprouvé pendant et après un jeûne.

Le jeûne est-il indiqué pour les personnes qui souhaitent perdre du poids ?

Le processus de dégradation de la graisse explique la fonte du gras, inévitable lors d’un jeûne. Pour les personnes qui décident de jeûner afin de perdre du poids, la question sera de stabiliser leur poids en faisant attention aux compulsions de sortie de jeûne, avec un effet boomerang. Auquel cas, il faudrait y remédier par un apport d’acide aminé tryptophane, précurseur de la sérotonine.

Sur quelles pathologies le jeûne n’a-t-il pas d’intérêt thérapeutique ?

Le jeûne est contre-indiqué pour plusieurs types de personnes : femmes enceintes, enfants, et surtout en cas de dénutrition. Il est aussi déconseillé dans les pathologies de carence comme la sarcopénie ou encore l’insuffisance osseuse.

Vous écrivez que le jeûne est à éviter en cas de troubles du comportement. Pourquoi ?

Je pense surtout aux troubles alimentaires, aux personnes ayant des antécédents d’anorexie ou de boulimie. Mais il faut être également prudent avec les personnes impulsives, très labiles sur le plan émotionnel, qui ont des compulsions alimentaires et sont attirées par le sucré, en particulier le soir à partir de 17 heures. En général ces traits proviennent d’une carence en sérotonine.

Le jeûne est-il intéressant pour traiter le syndrome du côlon irritable et les intolérances alimentaires ?

Oui, car cela met le côlon au repos, calme l’inflammation et les douleurs. En même temps, cela va permettre de faire le ménage dans notre milliard de bactéries pathogènes. Car les bactéries saprophytes jouent un rôle dans l’immunité, la régulation et la sensibilité de l’intestin. Le jeûne est donc un moyen d’adopter une nouvelle manière de vivre, sur des critères de guérison, qu’il va falloir ensuite entretenir.

Propos recueillis par Lucile de la Reberdière.

- Le guide pratique du jeûne, Dr Lionel Coudron, éd Terre Vivante, 2017, 155p. 19 euros.

 

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