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Le talc bientôt banni de la salle de bain ?

  • Le talc peut contenir de l’amiante et représenter un danger en cas de mauvais usage.Le talc peut contenir de l’amiante et représenter un danger en cas de mauvais usage.
Article paru dans le journal nº 82

Suite à des milliers de plaintes, le géant Johnson & Johnson vient de cesser de commercialiser une poudre pour bébés à base de talc. Ce matériau peut non seulement contenir de l’amiante mais aussi représenter un danger en cas de mauvais usage.

Il soulage les fesses des bébés, matifie le teint et évite les frottements dans les chaussures. Véritable couteau suisse, le talc devient pourtant de moins en moins plébiscité. Les géants de la cosmétique tels Chanel, L’Oréal ou Revlon renoncent même progressivement à son utilisation.

En cause, l’amiante détecté dans certains échantillons. Des milliers de plaintes ont par conséquent été déposées aux États-Unis et au Canada. De quoi inciter le géant Johnson & Johnson à annoncer, le 19 mai, qu’il cessait de commercialiser une centaine de ses produits dont une poudre pour bébés à base de talc… une décision effective seulement de l’autre côté de l’Atlantique. Ce qui relève de l’irresponsabilité pour les uns, de la précaution extrême pour les autres, tandis que les derniers alertent sur une utilisation inadaptée de ce matériau aux propriétés toutefois difficilement remplaçables.

Double standard

Le groupe a, en tout cas, tenté de se justifier dans un communiqué. « La demande pour la poudre pour bébés Johnson & Johnson à base de talc avait déjà diminué en Amérique du Nord en raison notamment d’un changement d’habitudes des consommateurs, alimenté par la désinformation concernant la sécurité du produit et par une salve constante de publicités incitant à porter plainte », argumente-t-il, répétant que son talc ne présente aucun risque pour la santé et qu’il continuerait donc d’être vendu dans les autres pays.

Une dichotomie que dénoncent les associations de victimes d’amiante du monde entier. Alain Bobbio, secrétaire national de l’Andeva (Association nationale de défense des victimes de l’amiante), va jusqu’à évoquer « un choix cynique » et regrette la mise en place d’« un double standard ». Ce collectif a d’ailleurs adressé, le 2 juin, un courrier au directeur général de la santé Jérôme Salomon.

« Il serait incompréhensible et inacceptable que les stocks de produits à base de talc amianté, dont les ventes viennent d’être stoppées en Amérique du Nord, soient écoulés ailleurs. Aujourd’hui en France, n’importe qui peut commander un flacon de « Johnson Baby Powder » sur Internet, sans que figure la moindre indication de danger sur l’étiquetage de ce produit », déplore la missive.

Des milliers de procès

Ces craintes se basent donc sur les milliers de procédures visant la firme aux États-Unis et au Canada, dont l’issue donne parfois raison aux plaignantes accusant le talc qu’elles utilisaient pour leur hygiène intime de leur avoir déclenché un cancer des ovaires. Le 24 juin, la cour d’appel du Missouri a ainsi condamné Johnson & Johnson à payer un total de 2,1 milliards de dollars (1,87 milliard d’euros) pour dédommager 22 plaignantes. Quatre mois plus tôt, un tribunal du New Jersey obligeait déjà l’entreprise à verser 750 millions de dollars (667 millions d’euros) à quatre autres victimes.

Le Français Imerys, fournisseur de talc de Johnson & Johnson, subit aussi les conséquences des traces d’amiante détectées. Il a d’ailleurs annoncé le 15 mai la vente de ses trois filiales nord-américaines pour mettre fin aux contentieux liés à ce matériau. En France en revanche, ni Me François Lafforgue ni Me Michel Ledoux, tous deux avocats spécialistes de l’amiante, n’ont connaissance de procès initiés par des victimes présumées du talc.

Le scandale du talc Morhange

C’est une erreur qui a causé la mort de 36 bébés et l’intoxication de 206 autres. Au printemps 1972, tous présentent les mêmes symptômes : érythème (rougeur de la peau), fatigue, fièvre, vomissements, diarrhées, convulsions allant jusqu’au coma. L’enquête pointe le talc de la marque Morhange, dans lequel est détecté un taux anormalement élevé d’hexachlorophène. Un ouvrier a, en effet, mélangé par inadvertance un fût de ce bactéricide avec le talc fabriqué dans la même usine ; ce mélange s’est retrouvé dans quelque 3 522 boîtes de poudre commercialisées.

De l’amiante indétectable

Le talc extrait de la carrière de Trimouns (Ariège) – plus grand gisement de la planète fournissant 10 % de la consommation mondiale – et transformé à Luzenac (à une quinzaine de kilomètres) est, en effet, jugé plus pur que le talc provenant des États-Unis. « Les données recueillies lors de l’expertise indiquent que [le talc de Luzenac] est réputé pour sa qualité. Il a fait l’objet de nombreuses études qui ont conclu à l’absence de risque significatif pour les cancers broncho-pulmonaires et les mésothéliomes [cancers de la plèvre qui enveloppe les poumons, NDLR] », souligne ainsi le dernier rapport à ce sujet de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) daté de 2012. Le talc français contient, toujours selon ce document, « 0 % [de] fibres ATA (antigorite, trémolite et anthophyllite) », susceptibles d’être amiantées.

Difficile cependant de garantir l’absence de cette substance cancérigène, même dans ce talc de haute qualité. « Il s’avère complexe de trouver les fibres d’amiante car elles sont de taille nanométrique et de structure quasiment identique à celles du talc. C’est impossible à détecter si on ne fait pas des analyses très, très poussées. Or, sachant que quelque 500 000 tonnes sont extraites chaque année de la carrière de Trimouns, on ne peut pas tout contrôler… », résume François Martin, professeur de chimie spécialiste du talc. Concrètement, il faudrait analyser chaque échantillon vendu en grande surface pour s’assurer qu’aucun ne contient d’amiante. Un procédé irréalisable.

L‘amélioration et le renforcement des tests figuraient pourtant parmi les cinq recommandations émises par l’Anses en 2012, qui préconisait le développement de méthodes analytiques sur les fibres asbestiformes – c’est-à-dire contenant de l’amiante – et non asbestiformes. Huit ans plus tard, le ministère de la santé interrogé par Alternative Santé ne confirme pas la mise en place de ces techniques. « Le talc pouvant contenir des fibres d’amiante ou des fibres possédant des caractéristiques morphologiques proches de l’amiante, sans ses caractéristiques chimiques, des études sont en cours en France pour mieux les différencier et les distinguer », explique simplement le ministère. Il ne donne pas plus de détails sur l’avancée de la cartographie des différents gisements de talc dans le monde afin d’identifier les autres fibres minérales qu’ils sont susceptibles de contenir – une mesure suggérée aussi par l’Anses.

Aucun lien statistique

À sa décharge, les rapports scientifiques peinent à établir le lien entre utilisation de talc contenant de l’amiante et développement d’un cancer. En octobre 2019, cette relation a bien été démontrée par une étude publiée dans le Journal of Occupational and Environmental Medicine ayant suivi 33 patients atteints d’un mésothéliome dont la seule exposition à l’amiante provenait d’un usage quotidien de talc. « Il a probablement été inhalé, entrant en contact avec la bouche et le nez qui sont des muqueuses. Ces tissus n’ont pas été endommagés mais l’amiante contenu dans le talc a atteint la plèvre ou le péritoine [membrane qui entoure tous les organes de l’abdomen, NDLR] et déclenché un mésothéliome », détaille l’auteure principale, Jacqueline Moline. Cette spécialiste de la médecine du travail recommande par conséquent d’éviter tout produit d’hygiène ou de beauté à base de talc tant qu’on ne peut pas garantir l’absence d’amiante et de privilégier « des substituts plus sûrs telle la fécule de maïs ».

Or, deux mois après cette étude, une autre, parue cette fois dans la prestigieuse revue Jama, n’a pas trouvé de lien statistique entre application de talc sur les parties génitales (pratiquée par quatre femmes sur dix parmi les 250 000 participantes) et apparition d’un cancer des ovaires (environ 2 200 cas rapportés). Pas de quoi lever tout soupçon sur cette poudre, relativise l’épidémiologiste et auteure principale, Katie O’Brien : « Ces résultats n’apportent pas de preuves concluantes démontrant que l’utilisation de talc pour l’hygiène intime contribue ou ne contribue pas à accroître le risque de cancer des ovaires, mais ils suggèrent que tout risque serait faible. Néanmoins, nous n’avons pas connaissance de bénéfices à long terme sur la santé de l’emploi de talc sur la zone génitale », rappelle Katie O’Brien. Suite à ce travail de recherche, elle observe d’ailleurs qu’« en irritant directement la membrane ovarienne ou les tubes utérins, la poudre pourrait déclencher une réponse inflammatoire même en absence d’amiante. »

La talcose menace les travailleurs

Les ouvriers respirant en permanence cette poudre peuvent développer une affection des poumons, dite talcose, susceptible d’entraîner à terme uneinsuffisance respiratoire et cardiaque. D’autre part, d’après l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail, si les travailleurs exerçant dans les usines de talc ont peu de risque de contracter un cancer des poumons, ceux œuvrant directement dans les mines sont plus menacés, d’autant qu’ils côtoient d’autres cancérogènes comme le radon, le quartz ou l’amiante.

Pas sur les muqueuses

De son côté, le dermatologue Paul Dupont est formel. « Le talc [ne contenant pas d’amiante] n’est pas dangereux à condition de ne pas l’inhaler, de ne pas le mettre en contact avec les muqueuses, encore moins les parties génitales, et enfin d’éviter son application sur toute plaie, y compris sur des lésions de varicelle », synthétise-t-il. Les grains de talc pourraient, en effet, s’immiscer sous la peau et former des petits grains indélébiles, dits granulomes.

Plutôt favorable aux médecines alternatives 1, ce praticien toulousain estime par ailleurs que « rien ne remplace le talc. Si on l’utilise pour ses vertus absorbantes, pour empêcher par exemple la macération entre les orteils, il n’existe pas d’équivalent. L’amidon de riz, de pommes de terre ou de maïs va certes permettre d’adoucir la peau, notamment en cas d’eczéma, mais il n’équivaut pas au talc », affirme-t-il.

Talc de synthèse

Malgré cela, des marques proposent déjà des produits à base de substituts de talc. C’est le cas du groupe états-uniens Amyris qui, deux jours après l’annonce de Johnson & Johnson, lançait une poudre pour bébés dans laquelle le squalane, un dérivé de la canne à sucre, remplace le talc.

Une dernière solution consiste à élaborer du talc de synthèse. Le professeur de chimie François Martin fait partie de l’équipe ayant déposé ce brevet il y a dix ans. Il assure que « la fabrication de minéraux de synthèse, dont le talc, permet d’éliminer certains défauts. Ceci intéresse le secteur de la cosmétique qui peut ainsi être sûr de la composition, (contrôlée entièrement). Cela apporte une sécurité », insiste-t-il.

Plus onéreux que son équivalent naturel, il sera d’ailleurs réservé aux secteurs médicaux et de la cosmétique, les autres objets fabriqués à base de talc comme le papier, la peinture et le caoutchouc ne représentant aucun risque a priori pour la santé du consommateur (mais pour ceux qui les fabriquent). C’est le géant français Imerys qui a racheté les licences pour commercialiser ce matériau artificiel, même s’il ne souhaite pas communiquer sur la date de sa mise sur le marché. En attendant, le devenir du flacon de talc sagement posé sur l’étagère de la salle de bain demeure incertain.

 

(1) Paul Dupont est l’auteur de Soigner sa peau au naturel, éd. Eyrolles, 2016, 174 p., 12,90 €.

 

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Alternative Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé


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