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Monde marin : un puit de remède

  • Un futur anti-ostéoporose à partir de l'anémone coloniale ? (lZoanthus sp)Un futur anti-ostéoporose à partir de l'anémone coloniale ? (lZoanthus sp)
Article paru dans le journal nº 108

Alors que nous manquons cruellement de nouveaux traitements dans de nombreux domaines de la santé, la solution pourrait bien se situer sous la surface de nos mers et océans qui recouvrent 70 % du globe. Plongée dans le monde fascinant des algues, des éponges et des concombres de mer qui intéressent aujourd’hui la médecine.

Dans les conditions de vie différentes de celles qui règnent sur le plancher des vaches, parfois extrêmes en température ou en pression, pauvres en lumière et en oxygène, les organismes marins ont évolué différemment et développé des composés extrêmement actifs aux structures chimiques très originales. En effet, il faut que ces molécules soient des plus puissantes pour être actives même immédiatement diluées dans l’eau de mer environnante. Concombres de mer, éponges, cnidaires et champignons des fonds marins sont ainsi source de molécules aux structures chimiques peu connues jusqu’ici, qui nous permettront peut-être de développer de nouveaux antibiotiques ainsi que des traitements anticancéreux ou anti-inflammatoires innovants dans le futur. Il est plus qu’urgent de protéger ces écosystèmes qui nous inspireront peut-être notre future pharmacie, avant même que cette dernière ait disparu sans révéler une grande partie de ses secrets.

Les bactéries marines, productrices des anticancéreux de demain ?

On compte pas moins d’un milliard de bactéries par litre d’eau de mer, dont beaucoup sont encore méconnues. Parmi elles, on trouve des bactéries qui produisent des molécules dérivées (métabolites) aux structures tout à fait surprenantes, comme les lactames, issus de la bactérie Streptomyces sp. Ces composés, puissamment antioxydants, sont capables de moduler le développement de l’inflammation, du cancer et du vieillissement. Les scientifiques ont retrouvé nombre d’autres métabolites marins similaires, comme l’altéramide A, un alcaloïde issu d’une bactérie ou la cyrindramine d’une éponge marine.

Les chercheurs en sont même venus à la conclusion que les bactéries présentes dans les végétaux et animaux de la mer sont probablement les principales productrices de ces métabolites marins, ce qui ouvre d’énormes perspectives pour la production industrielle de futurs médicaments : au lieu d’épuiser certaines espèces marines, allant à contresens d’une préservation de la faune et de la flore, on pourrait faire produire les molécules d’intérêt thérapeutique par ces bactéries, sous réserve bien entendu de trouver les bonnes conditions de culture microbiologique. Parmi les molécules plébiscitées par la recherche clinique, les protéines à activité enzymatique constituent actuellement une demande importante pour la prise en charge des leucémies et des lymphomes. Dans ce contexte, la L-asparaginase, une enzyme issue de Bacillus subtilis, a un grand potentiel de développement de traitements anticancéreux.

Les cyanobactéries, ce qu’on appelait auparavant les « algues bleues », ne sont pas en reste : ces microorganismes capables de photosynthèse et faisant partie du phytoplancton nous réservent aussi de belles surprises. En effet, des dérivés de Lyngbya sp. sont anticancéreux et antiostéoporotiques, tandis que le largazole, une molécule issue de Symploca sp., est déjà approuvé par la FDA (Food and Drug Administration) étasunienne pour le traitement du cancer et semble d’ores et déjà prometteur dans le traitement de l’ostéoporose. En bref, la recherche clinique a de beaux jours devant elle grâce aux bactéries marines !

Miser sur les champignons marins pour nos futurs antibiotiques ?

Si le champ de la mycothérapie terrestre est en pleine expansion, sa version sous-marine, avec l’énorme potentiel des champignons des mers profondes, n’a rien à lui envier : pas moins de 448 nouveaux composés avaient déjà été découverts en 2017 !

L’un des intérêts des champignons microscopiques des fonds marins est leur propension à produire des structures chimiques là aussi tout à fait originales (alcaloïdes, polykétides, polypeptides) ayant montré, par exemple, des vertus antiathérosclérotiques, antivirales, antidiabétiques ou anti-inflammatoires, mais pas seulement. En effet, alors que le champ d’action privilégié des champignons médicinaux terrestres est plutôt porté sur l’immunomodulation, la recherche sur les champignons marins se focalise sur la découverte de nouveaux antibiotiques et anticancéreux, très puissants dans le règne fongique.

Et dans le domaine de l’antibiothérapie, il y a urgence à pouvoir produire de nouveaux médicaments. Le prix Nobel de chimie 2020, la Française Emmanuelle Charpentier, nous avertit : « Notre plus grand défi ? Nous préparer aux infections bactériennes du futur. » S’inspirer de la mer, en particulier pour lutter contre les bactéries multirésistantes, pourrait être une stratégie intelligente à un moment où l’on peine à trouver de nouvelles molécules efficaces. Depuis 2017 en effet, seuls 12 nouveaux antibiotiques ont été approuvés, dont 10 appartiennent à des classes d’antibiotiques existantes et pour lesquels les mécanismes de résistance sont déjà connus. En outre, « sur les 27 antibiotiques en cours de développement clinique qui s'attaquent aux agents pathogènes prioritaires, seuls 6 remplissent au moins un des critères d'innovation de l'OMS », explique une note récente de l’ONU .

Dans ce contexte, les péniginsengines issues de Penicillium sp. (YIM PH30003 et YPGA11) pourraient avoir un rôle à jouer : elles exercent une action antibactérienne sur des souches sensibles, mais aussi résistantes, de staphylocoque doré (MRSA) responsables d’infections nosocomiales. Ces bactéries sont habituellement résistantes aux antibiotiques de type bétalactamines. Qu’à cela ne tienne, la réponse se trouve encore une fois sous la mer : le pénicillénol A2, isolé de Penicillium biourgeianum, agit en synergie avec les béta-lactamines pour augmenter la sensibilité des bactéries résistantes (augmentant l’efficacité du traitement).

L’usage des champignons marins à des fins antibiotiques ne relève pas de la science-fiction. En effet, ces microorganismes ont déjà permis la découverte de molécules qui font aujourd’hui partie de nos antibiotiques de référence comme les céphalosporines et l’acide fusidique.

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Les algues marines : des sources d’immunomodulateurs et d’anticoagulants

Si certaines algues, comme le fucus, ou microalgues, comme la spiruline, sont devenues à la mode, les mers et les océans recèlent bien d’autres trésors cachés que l’homme commence à découvrir. L’une des grandes classes de composés thérapeutiques produites par les algues et auxquelles s’intéresser est les polysaccharides.

Côté terre, on connaît par exemple les polysaccharides immunostimulants du lichen d’Islande, un organisme symbiotique associant une algue à un champignon. Dans la mer, on trouve les fucoïdanes, des polysaccharides sulfatés produits par exemple par Macrocystis pyrifera, une algue brune géante (famille des Laminariacées) appelée « kelp », ou par Nizamuddinia zanardinii, une algue brune faisant partie des Sargassacées. Leurs fucoïdanes exercent de multiples activités immunorégulatrices et anticancéreuses : stimulation de l’activité des macrophages, des cellules NK des cellules dendritiques et des lymphocytes T, augmentation de la sécrétion de diverses cytokines (interleukines, interférons) et régulation de l’apoptose.

De façon intéressante, ces polysaccharides exercent aussi une action anticoagulante par des propriétés antithrombotiques, avec une efficacité parfois supérieure à l’héparine (l’anticoagulant de référence), qu’ils soient extraits du fucus vésiculeux (Fucus vesiculosus), du wakamé (Undaria pinnatifida) ou de la laminaire digitée (Laminaria digitata) des côtes britanniques. Il est à noter que si l’un des principaux effets indésirables de l’héparine est le risque hémorragique, la mer a là aussi son mot à dire : il a par exemple été démontré que les xylofucoglucuronanes isolés de l’algue brune Spatoglossum schroederi exercent une activité anticoagulante sans aucun effet hémorragique !

Au-delà des effets sur le système immunitaire et sur la coagulation, les macroalgues brunes sont aussi prometteuses dans le domaine de l’endocrinologie. En 2019, on comptait 463 millions de personnes diabétiques dans le monde. Là encore, les organismes marins répondent présents : la recherche a mis en évidence le potentiel antidiabétique des polyphénols de Lessonia trabeculate, une espèce de varech du Pérou et du Chili, et du dieckol d’Ecklonia cava, une algue brune comestible que l’on trouve au Japon et en Corée.

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Les métazoaires : des vertus tous azimuts

Parmi les organismes marins, les métazoaires sont des animaux plutôt primitifs, mais à fort potentiel dans la recherche de nouvelles structures chimiques thérapeutiques. Les éponges, par exemple, sont traditionnellement utilisées pour leurs vertus cosmétiques, grâce à leur teneur en collagène et en gélatine, mais leur intérêt va bien au-delà des utilisations beauté ! L’halichlorine, par exemple, provenant de Halichondria okadai, exerce une action anti-inflammatoire très spécifique sur la molécule d'adhésion cellulaire VCAM-1" (une protéine du corps impliquée dans des déséquilibres immunologiques et processus inflammatoires). Cet alcaloïde de structure inconnue jusqu’alors est anti-inflammatoire et immunosuppresseur, prometteur dans le traitement des maladies coronariennes, de l’angine de poitrine, des maladies inflammatoires non cardiovasculaires.

L’éribuline, isolée elle aussi d’éponges marines, est un médicament analogue de l’halichondrine B. Cette dernière est aujourd’hui utilisée comme traitement de 3e intention (USA) et de 2de intention (Europe) des patientes présentant un cancer du sein métastatique. Cette molécule est aussi un probable futur traitement d’autres types de cancers (sarcome métastatique des tissus mous et autres). Dans le domaine des infections parasitaires, on a même montré l’efficacité de l’éponge Axinella cannabina qui contient des dérivés de l’isonitrile aux vertus antimalaria, et ceci sans toxicité pour les cellules humaines.

Au côté des éponges, citons d’autres métazoaires intéressants : les cnidaires, et plus particulièrement les zoanthides coloniaux ( Zoanthus sp.). Ces anémones coloniales, très recherchées pour décorer les aquariums, renforcent la structure qui les constitue en y intégrant des matériaux qu’elles trouvent dans leur environnement, comme du sable ou des fragments de roches. Ces animaux produisent de la norzoanthamine, un alcaloïde de structure tout à fait originale qui inhibe la perte de masse et de force osseuses (dans un modèle de souris ménopausée) et qui semble être un bon candidat pour un futur médicament contre l’ostéoporose.

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Les invertébrés marins et les céphalopodes, champions de la régénération

Continuons notre exploration de l’évolution des organismes marins et intéressons-nous aux concombres de mer, comestibles et riches en vitamines, minéraux et acides gras. Si certaines espèces sont déjà intégrées à la médecine traditionnelle chinoise, c’est probablement lié à l’intérêt santé de leurs composés actifs originaux, tels que des polysaccharides sulfatés, des saponines ou des cérébrosides aux activités antiangiogéniques, antithrombotiques, antihypertensives, antioxydantes, anti-inflammatoires et antimicrobiennes, leur conférant presque le statut de panacée.

Une équipe japonaise a découvert de nouveaux gangliosides dans dix espèces de concombres de mer, ainsi que dans les œufs des oursins, capables de stimuler la croissance des nerfs in vitro, et donc très prometteurs dans la recherche sur les maladies neurodégénératives.

Le concombre de mer en usage externe usage direct détient également des propriétés cicatrisantes cutanées, accélérant la guérison et aidant à la formation et à la régénération tissulaire, en lien direct avec la capacité de régénération rapide de l’animal. On trouve d’ailleurs depuis longtemps déjà en Asie du Sud-Est des crèmes réparatrices à base de concombre de mer.

L’étude de la structure même des animaux marins est également très inspirante pour les chercheurs. Le ver tubulaire Phragmatopoma californica, par exemple, produit un ciment organique qui intéresse la recherche clinique pour la mise au point de traitements des malformations et défauts artériels et vasculaires. Chez les mollusques céphalopodes, les eumélanines issues de la seiche commune (Sepia officinalis) sont, elles, étudiées pour leur potentiel de biomatériau étanche et hémostatique.

Valorisation des déchets de la filière pêche

Au-delà de nous offrir des molécules novatrices pour nos futurs médicaments, la mer nous fournit également des matières obtenues par valorisation des déchets issus de la filière alimentaire, à l’instar de la peau de poisson. La société islandaise Kerecis a mis sur le marché un produit à base de peau de poisson, validé par la FDA en 2021, destiné à soigner les plaies, notamment des grands brûlés. La peau de poisson est d’abord transformée puis stérilisée. Sans odeur, elle adhère totalement à la plaie jusqu’à ce qu’elle soit guérie, empêchant toute contamination extérieure, réduisant le risque d’infection à quasi-néant et maintenant l’humidité nécessaire à la cicatrisation. De plus, le pansement ne nécessite pas d’être changé quotidiennement. Dans un essai clinique brésilien de 2017, l’usage de peau de tilapia a montré une cicatrisation accélérée des brûlures du second degré, réduisant également au passage la douleur.

On pense aussi à d’autres molécules comme la chitine et le chitosan (accélérateurs de cicatrisation, antibactériens contre des bactéries causant des maladies parodontales et des caries, hypocholestérolémiants, antiulcéreux, anti-âge, utiles en cosmétique et en ophtalmologie), la chondroïtine, la glucosamine et l’acide hyaluronique (issus des déchets de poissons et anti-inflammatoires en cas d’arthrose) ou encore le collagène (arthrose, hypertension, cicatrisation, antioxydant, anti-âge cutané).

Extrait de carapaces de crustacés, le chitosan est surtout connu du grand public pour accompagner la perte de poids (il absorbe les lipides). Mais il sert aussi à élaborer de nouveaux matériaux organiques pour la régénération osseuse et tissulaire, y compris les tissus dentaires. En novembre 2022, des chercheurs ont réussi à mettre au point à partir du chitosan un polymère permettant d'épaissir la glaire cervicale produite par l'utérus, barrant la route à 98% des spermatozoïdes dans un modèle animal (chez la brebis). Ces premiers résultats très prometteurs pourraient permettre de mettre au point un nouveau moyen de contraception féminine à administrer directement dans le vagin, ce qui constituerait une innovation de premier plan alors que la pilule est de plus en plus délaissée du fait de ses effets indésirables.

On utilise de plus en plus ces différentes molécules dérivées de la filière pêche (collagène de la peau de saumon ou des oursins de mer, alginates des algues brunes, chitine des crustacés, etc.) et l’on s’inspire des biomatériaux marins pour la bioingénierie tissulaire, en particulier pour la régénération du tissu osseux et du cartilage, avec une excellente biocompatibilité et une grande efficacité.

La mer est donc un précieux réservoir de potentiels médicaments agissant tous azimuts, et qui pourraient constituer d’efficaces et novateurs traitements pour des pathologies difficiles à traiter à l’heure actuelle. De quoi renforcer encore l’élan nécessaire qui nous pousse à lutter contre les effets du réchauffement climatique et de la pollution du monde marin.

 

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