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L’étude du Lancet justifie-t-elle l’arrêt des essais sur l’hydroxychloroquine ?

  • Coup d'arrêt pour l'hydroxychlroquine ? Coup d'arrêt pour l'hydroxychlroquine ?
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« Covid-19 et hydroxychloroquine : fin de partie ? », « Ni chloroquine, ni hydroxychloroquine ne sont efficaces contre le Covid-19 »… Depuis la parution d’une étude dans la revue médicale britannique The Lancet le 22 mai dernier, c’est l’emballement médiatique, populaire et politique. L’OMS a suspendu « temporairement » les essais liés à la chloroquine et le gouvernement français a interdit sa prescription sur les patients atteints par le Covid-19. Pour certains médias, cette étude devait être « le nouveau juge de paix » pour « trancher » le débat sur la chloroquine. Qu’en est-il vraiment ? Alternative Santé fait le point pour vous.

Article mis à jour le 05/06/2020

L’étude à effet boule de neige

Le 22 mai dernier, le journal The Lancet publiait la plus grande étude jamais menée sur l’hydroxychloroquine et le Covid-19 . Cette étude épidémiologique qui analyse plus de 96 000 dossiers médicaux de 671 hôpitaux du monde entier suggère un risque de mortalité plus élevé et des troubles cardiaques chez les patients hospitalisés sous hydroxychloroquine.

Quelques heures après sa publication, le ministre de la santé Olivier Véran annonce sur Twitter : « Suite à la publication [d']une étude alertant sur l'inefficacité et les risques de certains traitements [dont] l'hydroxychloroquine, j'ai saisi le Haut conseil de la Santé publique (HCSP) pour qu'il l'analyse et me propose sous 48 h une révision des règles dérogatoires de prescription. ». Le Haut conseil, compilant un ensemble d’études et recommandations internationales, recommande alors de ne « pas utiliser l’hydroxychloroquine […] quel que soit le niveau de gravité ». Finalement, le 27 mai, un décret est publié au Journal officiel pour modifier les conditions dérogatoires de prescription de l’hydroxychloroquine. Que ce soit en ville ou à l’hôpital, le ministre indique que désormais « cette molécule ne doit pas être prescrite pour les patients atteints de Covid-19 . »

Un collectif de médecins français dénonce biais et conflits d’intérêts

De son côté, un collectif de médecins français (#COVID19-LaissonsLesMédecinsPrescrire) crie à la « désinformation » et se demande « qui a intérêt à faire croire que l’hydroxychloroquine est inefficace et dangereuse quand elle est bien prescrite ? ».

Ce collectif qui nous affirme « ne pas être à l’initiative du professeur Raoult ou de ses proches » regroupe 1 250 médecins indépendants et soignants qui dénoncent l’interdiction aux médecins de ville de prescrire l'hydroxychloroquine à leurs patients ou de s’en auto-administrer. Dans un communiqué de presse il pointe les biais, limites et conflits d’intérêts de l’étude du Lancet et questionne, entre autres, sur :

  • La possibilité pour seulement quatre auteurs de réaliser en si peu de temps l’analyse d’un volume de données aussi important et parfois publié en langues étrangères.

  • Les « nombreux conflits d’intérêt » des auteurs.

  • Le fait que les patients de l’étude soient des patients hospitalisés à un état grave de la maladie (alors que les médecins en faveur de l’hydroxychloroquine le sont principalement pour un usage sur les formes précoces de la maladie).

  • Des « imprécisions sur les traitements analysés » (notamment impossibilité de « savoir qui a reçu de l’azithromycine »).

  • Une population de patients « non représentative » car présentant de nombreux patients avec des comorbidités [NDLR notamment cardiaques, une contre-indication à l'usage de l'hydroxychloroquine].

  • Des « doses et durées de traitement non précisées ».

Ces médecins ne sont pas les seuls à pointer du doigt certaines faiblesses de cette étude. Des chercheurs australiens s'étonnaient par exemple le 24 mai dans le journal britannique The Guardian, du décalage entre les nombres de décès présents dans leurs bases de données et les chiffres compilés par l'étude publiée dans The Lancet, demandant des comptes aux auteurs sur leur méthode.

Le 27 mai, c'était au tour de dizaines de scientifiques du monde entier ayant "examiné minutieusement" l'étude de verbaliser dans une lettre ouverte leurs "inquiétudes"  quant à sa "méthodologie" et à "l'intégrité des données" et de demander au Lancet de diffuser publiquement les échanges internes ayant conduit à sa publication.

Ce ne sont pas des données « foireuses »

Le docteur Christian Funck-Brentano, chef de service en pharmacologie médicale à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière est l’ auteur d’un commentaire détaillé de l’étude du Lancet . Nous lui avons soumis (avant que ne sortent ces nouvelles critiques australiennes) certaines des objections formulées par le collectif #COVID19-LaissonsLesMédecinsPrescrire, auxquelles il répond : « Il est tout à fait probable que quelques auteurs aient analysé autant de données en aussi peu de temps et les données utilisées issues d’un registre international conforme aux normes ISO sont robustes, validées et les auteurs utilisent des techniques statistiques de qualité ».

Pour lui, ces données ne sont pas « foireuses » comme le prétend le professeur Raoult mais elles ne peuvent pas non plus permettre des « conclusions formelles et définitives ». Cette étude « envoie des signaux défavorables » mais elle « n’invalide pas » les thèses de Raoult.

Des liens avec des labos lancés dans la course au vaccin Covid-19

L’auteur principal de l’étude du Lancet, Mandeep R. Mehra, est professeur à l'école de médecine de Harvard et directeur médical du centre cardiaque et vasculaire de l’hôpital Brigham and Women's à Boston, principal financeur de l’étude. Brigham and Women's est un hôpital universitaire américain réputé qui affiche de nombreuses collaborations avec des laboratoires lancés dans la course au vaccin Covid-19 et qui a récemment abrité deux essais cliniques des laboratoires Gilead pour tester le remdesivir dans le cadre de thérapies contre le Covid-19, un produit potentiellement « concurrent » de la chloroquine. Le Dr Mehra a également animé le 3 avril une conférence sponsorisée par Gilead (voir ci-dessous), dans laquelle il présente une « stadification clinique et thérapeutique » dans le cadre du Covid. Alors qu’hydroxychloroquine et remdsevir font tous deux partie des « thérapies potentielles », Mehra choisit de citer systématiquement et uniquement le remdsevir (commercialisé par Gilead et concurrent de l’hydroxychloroquine).

Dans l’étude du Lancet, le docteur Mehra déclare avoir reçu des honoraires personnels de la part de nombreux groupes pharmaceutiques dont Bayer, Medtronic ou encore Janssen. Janssen est une filiale du groupe Johnson & Johnson, un laboratoire qui vient, en partenariat avec le gouvernement américain d’engager des fonds importants dans la recherche d’un vaccin Covid-19. D’un autre côté Bayer, avec qui Mehra a également des liens, est un labo qui commercialise précisément l’hydroxychloroquine.

Le second auteur de l’étude, Sapan S. Desai, est le créateur de la société Surgisphere, spécialisée dans l’analyse informatique de données médicales qui propose une application pour trier les patients Covid-19. Ce sont notamment les employés de cette société qui ont aidé à trier les données de l’étude. Un troisième auteur, Amit Patel, a récemment publié plusieurs études portant sur la recherche de vaccins contre le Covid-19 (une étude sur l’ivermectin , potentiel médicament investigué par les laboratoires Merck ainsi qu’ une étude sur un « vaccin ADN » développé par les laboratoires Inovio ).

Contacté par nos soins, Mandeep Mehra explique : « Il n'y a pas d'autres fonds qui ont soutenu cette étude. C'est moi qui suis titulaire de la chaire à l'hôpital Brigham and Women's et qui finance mes programmes de recherche. J'ai déclaré tous mes autres conflits [d'intérêt ndlr] et ils ne sont pas liés à cette étude. » L’étude du Lancet n’est donc pas liée de manière directe à l’industrie pharmaceutique, en revanche, l’hôpital qui la finance ainsi que ses auteurs ont collaboré régulièrement et récemment avec des industriels ayant intérêt à ce que la piste de l’hydroxychloroquine soit abandonnée. Des liens d’intérêts malheureusement monnaie courante aujourd’hui en raison de la raréfaction des fonds publics alloués à la recherche et qui, pour certains observateurs , illustrent la « triste banalité des filouteries, manipulations voire fraudes dans la recherche médicale contemporaine ».

Arrêt des essais, une décision incompréhensible et précipitée ?

Pour le docteur Violaine Guérin du collectif #COVID19-LaissonsLesMédecinsPrescrire ces décisions de stopper les essais sur l’hydroxychloroquine sont « anormales » et il est « surprenant qu’un organisme comme l’OMS censé représenter et protéger les patients du monde entier prenne des décisions en se basant sur des études méthodologiquement plus que critiquables ». Elle juge « bizarre » que l’on « s’alarme tout d’un coup d’effets secondaires très rares dont certains seraient très certainement attribuables au Covid plus qu’à la chloroquine » et en conclut que les autorités de santé françaises « ouvrent le parapluie pour se protéger ».

S’il loue la solidité de l’étude, Christian Funck-Brentano considère également que « l’OMS et consorts vont actuellement un peu trop vite vu que le lien causal n’est pas prouvé ».

Une étude de faible niveau de preuve qui ne clôture pas le débat

Cette étude du Lancet est une étude épidémiologique observationnelle prospective, soit un type d’étude qualifié par la HAS comme « fournissant généralement des données scientifiques de qualité faible » [NDLR : une étude de ce type est une étude statistique a posteriori qui se base sur des données chiffrées et non un essai clinique qui va donner un médicament à un groupe de patients, et un placebo à l’autre pour observer la différence]. Généralement en pareil cas, il faut attendre la tenue d’essais plus rigoureux pour statuer sur l’efficacité ou non d’un traitement. C’est précisément ce que concluent les auteurs de l’étude : « Des essais cliniques randomisés seront nécessaires avant de pouvoir tirer des conclusions sur les avantages ou les inconvénients de ces agents chez les patients atteints de Covid-19 ».

Comme le résume Christian Funck-Brentano : « Sans essais cliniques thérapeutiques randomisés vs placebo, ce sera toujours le bordel (sic), chaque camp continuera de s’affronter à coups d’opinions et non de réelle critique scientifique ». De leur côté, certains pays comme les États-Unis viennent de lancer des essais cliniques randomisés sur l’hydroxychloroquine et pourraient donc prochainement publier ces études de haut degré de preuves nécessaires pour y voir plus clair.

Le 3 juin, quelques jours après la publication initiale de notre article, le Lancet a émis un avertissement (expression of concern) auprès de ses lecteurs à propos de cette étude, précisant "d'importantes questions scientifiques" ont été soulevées" concernant les données de l'étude et qu'un "audit indépendant" visant à analyser la "provenance et la validité des données" est en cours. Au lendemain de la publication de cet avertissement du Lancet, l'OMS et d'autres organismes ont annoncés reprendre leurs essais cliniques sur l'hydroxychloroquine.

Épilogue final de ce "Lancet Gate", le  5 juin le Lancet a annoncé retirer l'étude, suite à la rétractation de trois de ses auteurs qui « n’ont pas été en mesure d’effectuer un audit indépendant des données qui sous-tendent leur analyse » et ne peuvent donc pas "garantir la véracité" des données utilisées dans l'étude.

 

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