Accueil Covid-19 Covid-19 : le monde de la santé mentale s’organise
Covid-19 : le monde de la santé mentale s’organise
Comme l’ont tristement montré les drames humains dans les Ehpad, la prise en charge des publics dits « fragiles », dans le contexte pandémique actuel, a connu bien des atermoiements. Après des difficultés techniques et organisationnelles, les professionnels du secteur de la santé mentale, en libéral comme en institutions, se sont creusé les méninges pour maintenir au mieux un suivi avec leurs patients.
L’épidémie de Covid-19 sévit en France depuis maintenant plusieurs mois et un confinement strict est en place depuis le 17 mars. Cependant, c’est tardivement que la question de la prise en charge des personnes les plus vulnérables s’est posée, après plusieurs cris d’alerte lancés par du personnel inquiet.
Manque de matériel et consignes inapplicables dans les établissements
Pris de court, les établissements accueillant des personnes en situation de handicap mental, ou atteintes de maladies psychiques, ont souvent dû faire face à un manque d’anticipation avec des directives qui ont tardé à venir. Comme de nombreux autres secteurs, ces établissements ont également été confrontés à un manque cruel de matériel.
C'est ce qu’explique Laurence*, éducatrice dans un établissement médico-éducatif en Suisse : « On n'était pas du tout prêt. On nous a laissés patauger, sans aucune directive. On a dû batailler pour obtenir les bons masques, on n’avait pas de blouses non plus ». Catherine*, infirmière dans un hôpital psychiatrique parisien, relate une expérience similaire : « On a travaillé dix jours sans masques, et on a frôlé la rupture de stock pour le gel hydroalcoolique ».
Sans compter les difficultés liées à la prise en charge spécifique de ces patients souffrant de troubles psy, personnes pour qui les consignes de distanciation sociale sont parfois impossibles à mettre en place. Catherine explique ainsi que « si certains vont rester cloîtrés dans leur chambre, d’autres sortent tout le temps et serrent la main à tout le monde dans les couloirs ; alors la pédagogie sur les gestes barrières ne sert à rien ». Chaque patient a des besoins qui lui sont propres, et il faut souvent opérer au cas par cas.
De nouveaux dispositifs d'accompagnement
Comment l'arrivée du Covid-19 impacte-t-elle des services psychiatriques qui, depuis longtemps, tirent la sonnette d'alarme sur leur manque de moyens et d'effectifs ? Quel est l'effet de cette épidémie sur des patients déjà fragilisés psychologiquement, et comment les accompagner ? Les patients Covid-19 sont mis à distance et se retrouvent isolés, sans pouvoir recevoir de visite de la famille ou des proches. Ils sont nombreux au sein d’institutions, à s’être organisés pour apporter des solutions et maintenir un suivi psychologique avec leurs patients.
Dans le Sud-Ouest, Philippe*, psychologue, et son équipe ont repensé leur activité pour continuer à accompagner leurs patients d'un centre médico-psychologique toulousain. Déjà habitués à travailler avec le téléphone, ils ont augmenté l’intensité de ce suivi en instaurant un grand nombre d’entretiens téléphoniques, car beaucoup de patients ne se déplacent plus en raison du confinement. Parfois, la fréquence des entretiens a même dû être doublée par rapport au nombre de séances suivies par les patients en règle générale.
Du côté des patients Covid-19 sans historique de troubles psychiques antérieurs, les professionnels de santé ont également pris conscience de la nécessité de prendre en compte les impacts d'une maladie qui réveille en chacun des anxiétés innombrables. Pour faire face à ces difficultés, à Saint-Mandé, en banlieue parisienne, un dispositif d’écoute téléphonique pour des patients atteints du Covid-19 a été mis en place suite à la demande du corps médical. Ils ont donc fait appel à une dizaine de psychologues de la région parisienne qui assurent désormais, à tour de rôle et bénévolement, la permanence téléphonique de cette ligne d’écoute. Celle-ci est dorénavant ouverte à toutes les personnes du Val de Marne atteintes, recommandées par leur généraliste.
Maintenir le lien
Le contexte épidémique n'affecte bien sûr pas uniquement les patients suivis en psychiatrie, ou les personnes diagnostiquées positives au Covid-19, mais tout un chacun. Et les psychologues libéraux ont dû adapter leur pratique à ce nouveau contexte. Les restrictions de déplacement ont notamment fait exploser la pratique de la téléconsultation, auparavant peu utilisée par la profession, pour assurer le maintien d'un suivi de leurs patients dans cette période éprouvante.
Ainsi Élisabeth*, psychologue dans un cabinet à Lyon, organise des consultations vidéos à distance avec les patients qui en ont exprimé le souhait, mais constate que tous ne sont pas réceptifs. « En général, ça se passe bien, même si beaucoup préfèrent attendre la fin du confinement pour une séance au cabinet », explique Élisabeth.
En plus des consultations à distance, Élisabeth échange beaucoup par mail avec ses patients. Elle propose notamment des exercices à faire chez soi pour travailler sur le niveau de stress. Habituée à recommander la méditation à ses patients, pendant le confinement, elle envoie différents exercices par mail en les changeant tous les quinze jours. Exercices de cohérence cardiaque, activités apaisantes, travail de relaxation, ou encore exercices de sophrologie, les propositions sont nombreuses. Certaines de ses collègues continuent même leurs séances d’EMDR (thérapie occulaire) à distance.
Certaines institutions font également appel à ce genre d’exercices à distance. C’est notamment le cas au CMP de Toulouse où les activités en groupe ont été annulées. Les équipes se sont donc organisées pour proposer divers exercices aux patients. « Nous sommes en lien avec un réseau de personnes qui travaillent avec la méditation et le yoga, explique Philippe, ce sont donc des conseils que l’on peut donner aux patients ». Ainsi, pour ceux qui sont détenteurs d’un smartphone ou qui ont un accès Internet, Philippe recommande des tutoriels autour de ces activités. Certains sont aussi orientés vers des sites qui proposent des exercices à faire en autonomie autour du dessin ou de la musique, par exemple.
Capacités d’adaptation et peur de l’après
Ces différents praticiens se disent globalement impressionnés par les capacités d’adaptation de leurs patients ou bénéficiaires. Laurence, éducatrice spécialisée en Suisse travaillant avec des personnes en situation de handicap mental lourd, raconte que dans son groupe « les personnes se sont bien adaptées, je les trouve étonnantes. C’est évident pour personne, et elles ont bien géré ça ». « S’il existe des situations plus difficiles que d’autres, une majorité des patients s’est bien adaptée, indique Philippe. Même si on sent que c’est plus compliqué de semaines en semaines. »
Pour l’instant, ils ont observé peu de décompensations liées à la situation. À Paris, Catherine constate même que près d’un quart des lits n’est pas occupé, « ça n’arrive jamais », précise cette infirmière en psychiatrie, avant d’ajouter « peut-être que la réalité a pris le pas sur les angoisses ». Les raisons qui poussent à cette absence sont diverses et ils sont plusieurs à avouer que les craintes existent pour la suite. « Plus le confinement dure, plus il y a de risques », reconnaît Philippe. Laura, psychologue à Paris suit aujourd'hui ses patients par téléphone : « Évidemment, depuis le début, le Coronavirus est beaucoup évoqué en séance, parce qu'il est devenu notre quotidien à tous. Il n'était pas un déclencheur central dans les problèmes évoqués par les patients, plus en arrière-plan. Mais depuis maintenant une dizaine de jours, on sent que ça s'infléchit. L'absence de visibilité entraîne une anxiété accrue sur le futur : éloignement de la famille, isolement, conditions matérielles en péril, peur du licenciement et de la reprise d'activité… Avec des symptômes qui vont des problèmes de sommeil à la perte d'appétit en passant par des crises d'angoisse. Il y a un épuisement collectif qui devient de plus en plus palpable chez les patients. »
Selon les résultats préliminaires d’une étude sur l’impact psychologique et social du confinement, appelée Covadapt, deux tiers des personnes interrogées déclarent une forte augmentation du sentiment de peur, plus de la moitié ont des troubles du sommeil, et les trois quarts évoquent une perte de confiance en eux. Ainsi, plus le confinement dure, plus ces problématiques risquent de s’accentuer et venir s’ajouter, pour certains, à la perte d’un emploi ou une situation de grande précarité.
Catherine craint également des retombées psychologiques liées à la perte de proches, auxquels il est difficile, voire impossible de faire ses adieux en raison du confinement, et pour qui les funérailles ne pourront avoir lieu qu’une fois le confinement levé. Tous ces éléments viennent entraver le processus de deuil, rendant la situation d’autant plus éprouvante.
Alors si le déconfinement semble commencer à se dessiner, sa mise en œuvre paraît encore très floue, et nous aurons sûrement, plus que jamais besoin de l’aide des psychologues à l’issue de cette crise.
(*) Les prénoms ont été changés.
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