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Le travail, c’est pas la santé

  • Le travail est un important facteur de mortalité et de maladies chroniques. Le travail est un important facteur de mortalité et de maladies chroniques.
Article paru dans le journal nº 72

Après les vacances, le travail a repris avec ses contraintes plus ou moins éprouvantes, son stress et ses innombrables facteurs délétères, dont les expositions chimiques ou les pressions insidieuses. Affrontons une fois pour toutes ce tabou : le travail est un important facteur de mortalité et de maladies chroniques.

Travailler rime de moins en moins avec santé. L’activité professionnelle est même l’un des principaux contributeurs de cancers, d’AVC, de maladies de Parkinson et d’Alzheimer, d’affections respiratoires, de troubles ­musculo-squelettiques et oculaires, d’anxiété, de dépression menant régulièrement des salariés au suicide… Sans compter les accidents dans les entreprises et sur les trajets professionnels, eux aussi à l’origine de nombreux décès et handicaps.

Les causes sont bien documentées. On y trouve en bonne place les expositions aux produits chimiques, toujours plus nombreux et mal encadrés. Mais aussi les nouvelles technologies émettant des ondes ionisantes ou non, plus ou moins intenses et continues : écrans informatiques, équipements de télécommunication, lasers, appareils radiographiques industriels, fours à induction, soudage par bombardement électronique… Et l’on ne compte plus les sources radioactives auxquelles les personnels sont exposés dans les hôpitaux et les laboratoires. Ajoutons-y les ondes sonores : un salarié sur cinq est exposé à un niveau dangereux de nuisances sonores (plus de 85 décibels) durant vingt heures ou plus par semaine. Cette exposition provoque fatigue et irritabilité en plus d’entraîner des surdités, selon l’enquête nationale « Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels » (1).

Les expositions aux produits toxiques sont d’autant plus retorses et graves qu’elles sont discrètes et produisent leurs effets dévastateurs à long terme. Car si l’on se méfie spontanément des dangers dont la sanction est immédiate, comme le risque d’écrasement, de chute, de brûlure ou de coupure, on se méfie trop peu des effets toxicologiques des substances dont la nocivité reste invisible pendant des années. C’est le cas pour les expositions aux substances cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques (toxiques pour la reproduction), ces substances dites CMR, auxquelles s’ajoutent les allergènes et les neurotoxiques (toxiques pour le cerveau et le système nerveux en général).

Temps de latence des maladies

Le temps d’incubation entre les premières contaminations et l’apparition 
des cancers ou des maladies neurodégénératives peut prendre des décennies et a rendu possible le scandale de l’amiante. L’explosion de ce scandale 
a aiguisé les consciences à ce sujet. Mais ce délai permet encore à beaucoup d’employeurs et de lobbyistes de masquer les dangers d’une ribambelle de produits. Rappelons que l’amiante subsiste en quantité dans les environnements professionnels (bureaux, chantiers, écoles), souvent à l’insu des salariés et du public. Les substances toxiques auxquelles on peut se trouver exposé au travail se comptent par centaines. Citons pêle-mêle : acrylonitrile, arsenic, benzène, cadmium, formaldéhyde, fongicides, insecticides et herbicides de synthèse, oxyde d’éthylène, polychlorobiphényles (PCB), sels d’aluminium, toluène, fibres de carbone… voire des substances connues pour leur toxicité depuis des siècles, comme le plomb ou le mercure.

Rappelons que plus de 2 millions de salariés sont encore exposés aux cancérogènes, selon les autorités chargées d’étudier ce risque (2). De surcroît, 
la déclinaison des substances classiques sous des formes nanométriques 
et leur diffusion dans les nanomatériaux les plus divers les multiplie.

Détérioration des conditions de travail

Les causes sont aussi psychosociales. Les pressions accrues à la productivité et l’intensification des rythmes de travail, sur fond de réduction de personnel, d’horaires à rallonge et de déséquilibre entre travail et vie privée, produisent des effets désastreux. Elles vont de concert avec le chantage au licenciement ou au dépôt de bilan pour obtenir plus de concessions des salariés et des syndicats. Les nouveaux emplois sans cadre protecteur et le recours grandissant aux autoentrepreneurs sans protection n’améliorent pas la situation.

Une récente étude de la Fondation Pierre Denicker sur la santé mentale des actifs en France vient de révéler que 22 % d’entre eux présentent « une détresse orientant vers un trouble mental » (3). Et la situation s’aggrave dans tous les métiers : agriculture, bâtiment, métallurgie, plasturgie, enseignement, soins hospitaliers, police, transports… Même les études financées par le ministère du Travail conviennent de la nocivité de ces sources d’agressions, à l’instar de celles de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et des organismes ­dédiés, comme l’Organisation internationale du Travail (OIT). Elles confirment que les atteintes sanitaires liées aux conditions de travail malsaines s’alourdissent. Le bilan global s’avère catastrophique.

Malgré ce tableau édifiant, la prévention des risques au travail reste très légère. Pire : elle est en train de s’affaiblir. Ce recul s’observe notamment au niveau des instances européennes. On peut ainsi constater que la réglementation REACH, normalement prévue pour obliger les industriels à tester la toxicité de leurs produits avant de les mettre sur le marché de l’Union européenne, est une passoire à gros trous. Les tricheurs sont légion : beaucoup la transgressent continuellement. Ainsi, une étude du BFR (Institut fédéral allemand d’évaluation des risques), révèle en effet que seulement 31 % des produits chimiques importés ou fabriqués en Europe depuis 2010 sont conformes à la réglementation (4). Cette évolution se révèle d’autant plus effarante que les expositions chimiques se multiplient dans les entreprises du fait de l’invasion des nouveaux produits et de leur manque de traçabilité. C’est le cas de la noria de nanoparticules conçues au cours des vingt dernières années.

La dose fait-elle encore le poison ?

La formule de Paracelse perd de sa pertinence devant la diversité des expositions. Les synergies entre les nombreux produits polluants rendent cette relation dose-effet plus complexe à appréhender. S’ajoute à cet « effet cocktail », la découverte d’effets paradoxaux. En clair, il apparaît que le bisphénol A peut déjouer des grilles de lecture officielle en ayant des effets toxiques supérieurs à des doses d’exposition inférieures aux recommandations. Ainsi, la notion de valeur limite, censée nous protéger, devient de plus en plus une fiction.

Le rôle des inspecteurs du travail affaibli

Le plus édifiant aujourd’hui est de voir les responsables politiques détricoter le système de prévention, notamment celui mis en place après le scandale de l’amiante pour réduire les risques du même genre. La nouvelle réglementation imposée et les projets de réformes actuellement discutés concourent à affaiblir le pouvoir des inspecteurs du travail. Et l’on voit déjà leur ministère de tutelle, celui du Travail, à l’œuvre : les employeurs qui ne respectent pas les normes de sécurité sont moins sanctionnés et il est fait preuve d’« empathie » à leur égard. Conséquence : des malades et des morts, pourtant évitables, vont se multiplier, en particulier chez les personnes exposées aux expositions chimiques et au stress, causant des affections dont bon nombre se déclarent seulement après le départ en retraite.

Le recul de la prévention se traduit aussi par un relâchement des normes de sécurité, le Medef obtenant sans cesse des assouplissements au nom de la compétitivité internationale. Le syndicat patronal a obtenu parallèlement un repli de l’organisation de la sécurité au sein des entreprises avec le remplacement des CHSCT par une nouvelle structure, le Comité social et économique (CSE), à partir du 1er janvier 2020. Le fonctionnement du CES ne relèvera plus seulement de la loi, mais aussi de la négociation avec les directions d’entreprises, qui ont habituellement tendance à minimiser les risques.

Autre régression, celle de la médecine du travail. Même les médecins généralistes à la retraite sont désormais autorisés à remplacer leurs confrères qui, eux, étaient formés à la santé au travail et aux toxiques industriels. S’y ajoute le recours plus fréquent aux intérimaires et aux sous-traitants qui n’ont aucune formation aux gestes de sécurité et échappent au suivi médical professionnel, y compris dans le secteur nucléaire (5). Quant au système de reconnaissance des maladies professionnelles, on est en droit de se demander s’il est vraiment au service des personnes en souffrance.

Des mesures pourtant élémentaires reléguées

Il suffirait, en effet, pour neutraliser les risques, de prendre des mesures tout à fait élémentaires, telles que l’adoption de dispositifs de réduction des émissions, d’installations de recapture des poussières et des fumées nocives, d’équipements de protection individuels et de campagnes d’informations réactualisées des personnels. Sans oublier le repérage scrupuleux des postes exposés et la mise en œuvre d’un suivi médical sérieux des salariés. Les employeurs négligent massivement ces mesures pour réduire leurs coûts. Et comme les salariés méconnaissent souvent ces risques, ils sous-estiment l’importance des précautions à prendre. À commencer par les expositions aux produits toxiques.

L’importance des lanceurs d’alerte

Dans ce contexte, le rôle des lanceurs d’alerte dans les entreprises va devenir plus crucial qu’il ne l’était encore jusqu’ici. Il va d’ailleurs se heurter à la loi dite de « protection des lanceurs d’alerte » qui oblige maintenant ces derniers à prévenir leur hiérarchie et à n’informer la presse qu’en dernier recours, si la direction ne met pas fin aux abus. De même, la loi sur le « secret des affaires » commence à montrer sa nature dangereuse sur des dossiers sanitaires en permettant à des groupes industriels d’échapper aux enquêtes des autorités sanitaires.

Le rôle des réseaux sociaux et des médias militants devient lui aussi plus déterminant que jamais. Se faire l’écho des résultats des recherches sur les risques chimiques, entre autres, est une nécessité absolue. Rappelons, par ailleurs, que les salariés n’utilisent pas assez un droit encore garanti par la loi : le droit de retrait en cas de danger. Le temps est venu pour les syndicats ouvriers de le cultiver sérieusement et de lui donner des assises plus larges face à la politique de déni qui se développe intensivement.

Enfin, il faut souligner l’importance décisive des actions auprès des tribunaux. Rappelons que l’affaire de l’amiante reste un dossier phare. Si la perspective d’un grand procès des responsables nationaux a reculé, environ 50 000 procès au civil et parfois au pénal ont déjà été gagnés contre des employeurs locaux. C’est une formidable brèche dans la forteresse de cynisme dressée contre la santé au travail et c’est l’occasion de responsabiliser les directions d’entreprises à la prévention.

Notons aussi un autre précédent : le procès historique des anciens dirigeants de France Télécom (devenu Orange), jugés en correctionnelle pour leurs méthodes de management mortifères, recourant au « harcèlement stratégique ».

1. Enquête Sumer, 2010.

2. Sumer, op. cit.

3. Fondation Pierre Denicker : « Santé mentale des actifs en France : un enjeu majeur de santé publique », novembre 2018.

4. Cité par la revue Santé et travail, janvier 2019.

5. Lire à ce sujet Les risques du travail. Pour ne pas perdre sa vie à la gagner, par A. Thébaud-Mony, P. ­Davezies, L. Vogel, S. Volkoff, éd. La Découverte, 2015.

 

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Alternative Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé


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