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Covid-19 : l’infobésité scientifique nécessite-t-elle le secours de l’intelligence artificielle ?

  • L'intelligence artificielle pour aller à l'essentiel ?L'intelligence artificielle pour aller à l'essentiel ?
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Le coronavirus génère un tsunami de publications scientifiques

C’est peu de dire que l’épidémie de coronavirus donne lieu, depuis ses débuts, à une certaine cacophonie , aussi bien chez les experts que chez les politiques. Il en a résulté une suite de mesures de santé publique peu lisibles en termes de cohérence et d’efficacité. À leur décharge, une publication signée de deux spécialistes en intelligence artificielle (IA), Ganesh Mani et Tom Hope, pointe une exceptionnelle prolifération de publications scientifiques liées au coronavirus.

À la mi-août, la communauté scientifique avait déjà mis en ligne plus de 8 000 publications en preprint (l’étape qui précède la validation par les pairs et la publication) sur le Sars-Cov-2. Parallèlement, le délai de relecture avant publication a chuté, dans le domaine de la virologie, de 117 à 60 jours. Tout va vite, très vite. L’Organisation mondiale de la santé a utilisé le terme d’infodémie (infodemic) pour qualifier le phénomène. Ce déferlement d’études internationales, combiné à l’urgence de la situation, a considérablement augmenté la difficulté d’en synthétiser les enseignements et d’en tirer des directives claires, susceptibles de faire consensus.

L’intelligence artificielle à la rescousse ?

D’après Mani et Hope, « étant donné le volume sans cesse croissant de la recherche, il sera difficile pour les humains seuls de suivre la cadence . Dans le cas du Covid-19, ainsi que pour d’autres maladies nouvelles, il y a une tendance à l’empressement parce que les praticiens sont en demande de directives pour traiter leurs patients ». Les deux auteurs appellent à l’utilisation de pratiques et de technologies innovantes afin de pouvoir dégager de cette masse croissante de littérature des données et des stratégies pertinentes, fiables et fédératrices.

Concrètement, ils proposent de mieux mettre en valeur les expérimentations et thérapies qui fonctionnent, mais aussi de mieux informer sur celles qui obtiennent des résultats négatifs , afin d’éviter aux praticiens et aux autres scientifiques de s’engager sur des voies sans issue. Un recours à l’intelligence artificielle pour assimiler et consolider les résultats de recherche devrait, selon Mani et Hope, être un axe de développement majeur ; « développer ce genre d’infrastructure aidera la société devant le prochain grand événement stratégique qui pourrait être similaire, si ce n’est plus prolixe, en connaissances ». À cette nuance près, expliquent-ils, qu’il faudrait pour chaque publication adapter une version spécifique dans un langage plus basique et uniforme qui puisse être traité par la machine sans ambiguïté. En effet, si l’IA semble très performante dans l’analyse d’imagerie par exemple, elle s’est jusqu’ici montrée quelque peu limitée dans la compréhension des traits de langage humain, en particulier ceux du monde scientifique.

L’IA et le risque de biais

La solution avancée par les deux experts, dont il convient de noter qu’ils sont objectivement intéressés au déploiement de l’IA, peut sembler séduisante à certains, voire indispensable. Mais la nature même de l’IA, dont le fonctionnement repose sur les algorithmes ‒ une suite de procédures et d’actions organisées en séquences et programmées pour s’accomplir de façon systématique ‒ devrait poser question pour plusieurs raisons.

D'une part, un algorithme fonctionne comme une boîte noire dont la logique de fonctionnement – jamais "neutre" – échappe à peu près à tout le monde sauf aux personnes l'ayant modélisé. Alors que tout le monde réclame plus de transparence et plus de clarté, il n'est pas certain qu'un dispositif non-humain alliant opacité à argument d'autorité ("les chiffres ont parlé") fasse avancer. Un traitement de données par une IA ne garantit pas la validité d’un résultat, comme l’a par exemple montré la fameuse étude bidon du Lancet qui avait discrédité “sans ambiguïté” l’hydroxychloroquine en utilisant un agrégateur de données, un type de logiciel très proche d’un algorithme.

D'autre part, on peut imaginer que l'objectif affiché de recherche et d'émergence de consensus scientifiques solides (pour remédier à “l'éparpillement” déploré de la recherche) pourrait également avoir des effets pervers. Par exemple une validation et un renforcement circulaire de l'existant (ce qui se trouve déjà sur le devant de la scène, lié aux rapports de force constitués dans les champs du savoir comme la virologie aujourd'hui) au détriment de recherches novatrices ou “ambiguës” ; perçues par l'IA comme des signaux faibles et, à ce titre, négligeables.

Or l’originalité, les chemins de traverse et la capacité à penser hors cadre (parfois envers et contre tout) ne sont-ils pas, précisément, les conditions essentielles pour de nouvelles découvertes humaines ou des changements de paradigmes ? Ces quelques “travers” non-exhaustifs du recours à l’IA dans le domaine du traitement de l’information scientifique ne plaident pas, en l’état, pour une confiance aveugle en cette technologie.

Lire aussi Covid-19 : "c'était prévisible mais nous sommes très peu écoutés", Jean-François Guégan

Source :

« Viral science : masks, speed bumps, and guard rails », dans Patterns, septembre 2020.

 

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