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Vaccin contre la rougeole : faut-il sonner le tocsin ?

Depuis début janvier, des alertes aux épidémies de rougeole arrivent de tous côtés. Les familles qui ne vaccinent pas les enfants sont particulièrement montrées du doigt. À lire ou entendre les médias, on croirait qu’un fléau menace la planète, que les coupables sont évidents (les non-vaccinés) et la solution, toute trouvée (augmenter la couverture vaccinale). Mais les choses sont-elles si simples ?

Régis Pluchet

« Les cas de rougeole ont bondi de 300 % dans le monde au premier trimestre 2019 », titrait Lemonde.fr le 15 avril, reprenant les chiffres d’un rapport de l’Organisation mondiale de la Santé. « État d’urgence dans une banlieue new-yorkaise, flambée des cas en Ukraine, épidémie meurtrière à Madagascar... Maladie évitable, mais potentiellement mortelle, la rougeole resurgit un peu partout dans le monde, à cause d’une défiance envers les vaccins ou d’un mauvais accès aux soins », écrit l’AFP dès le 28 mars.

En France, ces dernières semaines, 16 élèves de l’école privée Saint-Anne, à Saint-Tropez, ont contracté la rougeole, un établissement où beaucoup d’enfants ne sont pas vaccinés, a révélé Franceinfo.fr le 15 avril. Quant au site du Journal du dimanche, il relate le 22 avril la contamination de cinq enfants d’une crèche municipale de Montreuil (Seine–Saint-Denis), dont l’un s’en est sorti de peu (« Rougeole : frappé par le virus, un enfant frôle la mort »).

À New York, le maire Bill de Blasio a décrété le 10 avril un état d’urgence sanitaire dans plusieurs quartiers de la ville, après la survenue de 329 cas de rougeole depuis le mois d’octobre 2018. La majorité est des enfants appartenant à la communauté juive ultra-orthodoxe de Brooklyn qui refuse la vaccination. Le maire a menacé les parents qui ne vaccineraient pas de poursuites pénales et d’une amende de 1 000 dollars.

Des chiffres à reconsidérer

Devant ce flot d’informations alarmistes, difficile de débattre de la vaccination sans être pris pour un anti-vaccin. Tout argument critique est aussitôt considéré comme un fake. Pourtant, si l’on prend un peu de recul, un certain nombre de faits apportent d’importantes nuances, voire des objections aux informations qui circulent dans la presse. Les imprécisions y sont légion – qu’il s’agisse du nombre de cas, de l’âge des patients, de leur santé préalable et du fait qu’ils aient été vaccinés ou non.

Par exemple, il est généralement fait état des « cas déclarés » (sur la base d’un diagnostic clinique), qui ne seront pas tous des « cas confirmés » (par une analyse en laboratoire) – ces derniers chiffres étant, eux, rarement repris par la presse. Or, outre le fait qu’il peut y avoir une confusion avec une autre maladie, il existe parmi les cas déclarés de rougeole une part conséquente de réactions au vaccin lui-même (73 des 194 « cas de rougeole » en Californie en 2015, par exemple). Et les « mésestimations » sont rarement publicisées par la suite1

En réalité, plusieurs mois de recul sont nécessaires pour procéder à une analyse objective de la situation. Et celle-ci ne doit pas être comparée uniquement à celle des années précédentes ; il est tout aussi important de savoir comment la maladie a évolué depuis plus d’un siècle.

La rougeole est due à un virus hautement contagieux, mais, dans les années 1950-1960, on la considère comme une maladie bénigne. Elle est alors réputée favoriser la bonne santé des enfants et les protéger contre d’autres maladies, notamment le syndrome néphrotique, maladie rénale grave de l’enfance. À l’époque, ce ne sont pourtant pas quelques dizaines ou centaines de cas qui surviennent dans les pays industrialisés comme aujourd’hui, mais bien des milliers. En France, il y en avait ainsi 200 000 à 500 000 par an2, contre 2 902 cas déclarés en 20183.

Physiologie de la rougeole

La maladie se manifeste par une fièvre élevée, une toux, un écoulement nasal, de la conjonctivite et une éruption cutanée sous forme de plaques rouges. Ces symptômes durent quatre à cinq jours. Elle est en général bénigne et se soigne avant tout par du repos, des médicaments antifièvre, des soins d’hygiène du nez et des yeux (sérum physiologique) et des sirops contre la toux.

Certes, elle entraîne parfois des complications respiratoires (otites dans 7 % à 9 % des cas, pneumonies dans 1 % à 6 % des cas) qu’il faut soigner avec des antibiotiques. Il y a aussi des formes plus sévères, avec des encéphalites qui peuvent générer des convulsions, voire des paralysies. Il existe encore une forme très grave se déclarant plusieurs années après la maladie (huit ans en moyenne) : la panencéphalite sclérosante subaiguë (PESS), très souvent mortelle.

Les encéphalites sont les principales raisons invoquées pour justifier la vaccination. Les chiffres officiels donnés pour ces complications neurologiques, telles qu’elles étaient observées, sont de 0,5 et 1 cas d’encéphalite pour 1 000 rougeoles, environ 1 cas de PESS pour 100 000 cas de rougeole, avant la période de vaccination massive4 comme aujourd’hui3.

Dès lors, on peut se demander si les risques réels de la maladie dans les pays du Nord ne sont pas surestimés, tandis que les effets secondaires de la vaccination seraient, eux, sous-estimés, faute d’un système de surveillance approprié. Celui-ci reste par ailleurs difficile à mettre en œuvre depuis la vaccination ROR (rougeole-oreillons-rubéole), qui ne permet plus de bien distinguer ce qui est dû à chacune des trois souches vaccinales.

Les complications de la rougeole ont diminué en France et dans les pays industrialisés bien avant l’utilisation du vaccin grâce à l’amélioration de l’hygiène, de l’alimentation et du niveau de vie au XXe siècle. Le professeur Michel Rey, alors consultant de l’OMS, expliquait il y a quarante ans que ces évolutions n’avaient guère fait baisser le nombre de cas de rougeole, mais qu’elles avaient entraîné « un effondrement de la gravité ».

Aux États-Unis, par exemple, la mortalité a été divisée par 50 entre 1900 et 1960 (10 décès annuels pour 100 000 habitants en 1900 ; 0,2 décès annuel pour 100 000 en 19605). Les formes les plus sévères touchent principalement des sujets atteints d’immunodépression constitutionnelle ou acquise par d’autres maladies ou par un traitement (chimiothérapie, corticoïdes).

Enfin aujourd’hui, c’est encore dans les pays du Sud où sévissent la malnutrition, le manque d’accès à l’eau potable et différentes maladies infectieuses que les complications de la rougeole sont courantes et que la mortalité liée est la plus forte.

Le vaccin et ses effets indésirables

La vaccination actuelle est réalisée avec un vaccin vivant atténué. Il y a trente ans, une injection à 1 an suffisait. À présent, son efficacité diminuant, une seconde dose doit être administrée à 18 mois. D’abord injecté seul, le vaccin anti-rougeole a progressivement fait place à une formule triple rougeole-oreillons-rubéole (le fameux ROR, commercialisé sous les noms de M-M-RVax Pro® et Priorix®). Longtemps facultatif, il a fait l’objet d’une intense campagne de communication depuis trente-cinq ans en France. Depuis 2018, il est obligatoire pour les enfants (nés après le 1er janvier 2018) entrant en collectivité.

Le ROR est toujours présenté dans la presse comme un produit inoffensif. Or ce n’est pas un produit anodin. Il est contre-indiqué chez les sujets allergiques à l’œuf et à deux antibiotiques (néomycine, kanamycine). Entraînant une baisse de l’immunité pendant quelques semaines, il est contre-indiqué chez les sujets atteints d’une immunodépression constitutionnelle ou acquise.

Les poussées de fièvre après vaccination sont assez fréquentes (5 à 15 % des cas). Les convulsions et les encéphalites sont possibles, mais considérées comme très rares et, en proportion, largement inférieures à celles produites par la maladie (7 cas de convulsions fébriles pour 100 000 enfants vaccinés selon une étude finlandaise6). Il y a aussi des cas de purpuras cutanés (taches rouges dues à de petites hémorragies pouvant couvrir tout le corps), qui guérissent souvent sans séquelles, mais peuvent toutefois entraîner des hémorragies sévères.

Plusieurs études scandinaves ont trouvé des taux de purpuras sévères plus élevés que ceux estimés. « Une thrombopénie transitoire survient rarement dans le mois suivant la vaccination [contre la rougeole] : seulement 1 cas pour 50 000 à 100 000 doses », rapporte le Guide des vaccinations de la Direction générale de la santé7. La thrombopénie désigne une baisse des plaquettes, qui est souvent suivie d’un purpura. Le même ouvrage précise par ailleurs que le risque de purpura est de 1 pour 30 000 après la triple vaccination ROR, chiffre qui correspond à ceux des études scandinaves.

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Émergence de nouvelles souches virales, moindre efficacité vaccinale et déplacement des risques

En Inde, après plusieurs épidémies de rougeole sévère avec une mortalité élevée, survenues malgré une importante couverture vaccinale, les services de santé ont découvert un virus mutant, contre lequel la vaccination n’a pas d’effet protecteur8. L’information était suffisamment sérieuse pour être reprise en 2003 dans un colloque du Réseau international des Instituts Pasteur, au cours duquel il fut question de l’apparition de virus mutants sous la pression des campagnes de vaccination (rougeole en Inde, coqueluche en Angleterre, Canada et Australie)9.

En 2007, une étude a montré que seul un quart des sujets ayant reçu deux doses de vaccin anti-rougeole maintenait un taux d’anticorps suffisant au-delà de dix ans, que près de 5 % présentaient une perte complète d’immunité après cinq ans et que la grande majorité présentait des taux suffisamment bas pour être touchée par la maladie10. En 2018, le Pr Didier Raoult, microbiologiste, a expliqué qu’une nouvelle souche du virus de la rougeole, initialement importée d’Afrique et particulièrement transmissible, circule aujourd’hui à l’échelle mondiale (le génotype B3)11, pour lequel l’efficacité protectrice du vaccin actuel demeure incertaine. Il a aussi rappelé que, depuis 2017, les épidémies touchent à la fois les personnes non vaccinées et les personnes vaccinées (pour plus d'information sur ces échecs vaccinaux, voir cette vidéo).

Les choses se compliquent

La généralisation de la vaccination dans l’enfance a, certes, entraîné une très forte diminution du nombre de cas de rougeole en France, et partout où la couverture vaccinale est élevée. Mais les choses semblent aujourd’hui se complexifier. Alors que la maladie apporte une protection définitive, la vaccination n’a qu’un effet protecteur variable et mal évalué (dix à quinze ans).

Résultat : même si le nombre total de cas a baissé, il existe de nouvelles poussées épidémiques et plus en plus de rougeoles chez des adolescents et des adultes, âges où les formes sévères sont les plus fréquentes (outre les complications respiratoires et neurologiques, il peut y avoir des atteintes hépatiques). Selon le réseau Sentinelles, la proportion des malades âgés de plus de 10 ans est passée de 13 % en 1985 à 48 % en 1997 (et la proportion de cas vaccinés a également augmenté de 3 % à 58 % pendant la même période).

En outre, auparavant, les jeunes mères ayant contracté une rougeole transmettaient aux nourrissons des anticorps protecteurs pendant douze à quinze mois. Désormais, celles qui ont été vaccinées dans l’enfance risquent de ne plus être protégées, et de ne plus transmettre d’anticorps protecteurs à leur enfant. Enfin, si elles contractent la maladie durant la première année de leur enfant, elles risquent de la lui transmettre, or les formes sont les plus sévères chez les nourrissons et un vaccin n’est pas ou peu efficace avant l’âge de 12 mois.

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Le taux de couverture vaccinale, un baromètre cassé


D’après les informations qui précèdent, est-il vraiment raisonnable et juste de faire porter l’entière responsabilité des recrudescences récentes de rougeole à une baisse de la couverture vaccinale ? Et d’attribuer celle-ci à la seule influence des « anti-vaccins » ou à l’irresponsabilité de certains parents ? Prendre la pleine mesure de l’impact des modifications dans l’écologie du virus, elles-mêmes en lien avec des campagnes de vaccination massives, serait plus judicieux que la recherche de boucs émissaires. Dans ces débats complexes, la mesure et le recul sont préférables à une fuite en avant punitive et au déploiement aveugle de stratégies vaccinales montrant de plus en plus leurs limites.

En juin 2017, la ministre de la Santé assurait qu’il y avait une réapparition de la rougeole, ayant causé 10 décès d’enfants depuis 2008. Or ces chiffres (comme d’ailleurs l’idée d’une baisse de la couverture vaccinale en France) étaient faux1 : les statistiques officielles de l’Inserm montrent qu’entre 2008 et 2016, il y a eu 16 décès pour 24 000 cas de rougeole ; que 12 d’entre eux concernaient des adultes de plus de 24 ans, et les quatre autres, un enfant (entre 5 et 14 ans) et trois jeunes (entre 14 et 24 ans), auquel s’ajoutait le cas d’une jeune de 16 ans au premier semestre 2017. Ces statistiques confirment le constat déjà ancien selon lequel la vaccination a déplacé l’âge de maladie et donc les risques associés.

Remarquons, pour conclure, que ceux qui objectent que les effets secondaires de la vaccination sont inférieurs aux bénéfices de celle-ci ne remarquent pas que les victimes de la vaccination n’auraient pas forcément été victimes de la maladie, et qu’il n’y a aucun bénéfice pour elles. La volonté d’éradiquer à tout prix la rougeole n’autorise pas la prise en compte de telles considérations.

 

Sources

(1) Journal of Clinical Microbiology, 2019 ; 55 : 735-43

(2) Chiffre donné dans l’édition 1994 du Guide des vaccinations de la Direction générale de la santé et repris dans les autres éditions.

(3) « Recrudescence de la rougeole. État des connaissances », Santé publique France, avril 2018.

(4) Ces chiffres, donnés dans l’édition 2012 du Guide des vaccinations de la Direction générale de la santé, reprennent des données antérieures. Voir également « Center for Disease Control. Measles surveillance. Report n° 10 », une étude citée dans Vaccinations, du Professeur Michel Rey.

(5) Vaccinations, du Professeur Michel Rey, éditions Masson (collection Abrégés), 1980.

(6) Le Concours médical du 11 mars 1995.

(7) Guide des vaccinations, Direction générale de la santé, édition 2012.

(8) British Medical Journal, 24 mars 2001.

(9) Cité dans le résumé de la communication de B. F. Semenov, « Émergence des nouvelles infections et maladies », lors du colloque scientifique du Réseau international des Instituts Pasteur de Saint-Pétersbourg, 4 septembre 2003.

(10) “Persistance of measles antibodies after 2 doses of measles vaccine in a postelimination environment”, Le Baron, PMID, 17339511.

(11) “Measles: is a new vaccine approach needed ?”, Didier Raoult, The Lancet, vol 18, n° 10, P1060-1061, octobre 2018. 

(12) « Extension de l’obligation vaccinale : réponse à cinq fausses informations », E3M. 2 017

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