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Médicaments psychotropes : la fabrique des tueurs de masse
On tarde à prendre conscience de l’ampleur des effets secondaires des antidépresseurs et des somnifères dans notre société. Or ils peuvent susciter des envies de suicide ou de meurtre. Et s’ils contribuaient à la prolifération des coups de folie transformant des gens ordinaires en tueurs enragés ou autodestructeurs ?
En mai 2019, au Japon, un quinquagénaire armé de deux couteaux s’est rué sur un groupe de jeunes écolières qui attendaient le bus. Il en a tué une et blessé 16 autres, poignardant mortellement un homme se trouvant là aussi. Le tueur s’est ensuite suicidé, comme souvent dans les furies de ce genre. Le drame a ravivé le souvenir des tueries du même genre déjà survenues dans le pays, l’une d’elles ayant fait 29 morts en 2016. Mais le pays du Soleil-Levant n’a pas le monopole de ces actes. Loin de là !
Le nom d’Andreas Lubitz reste frais dans nos mémoires : en 2015, ce copilote allemand a volontairement écrasé un avion de ligne, dans le massif des Alpes françaises, avec 149 personnes à bord. Ce comportement touche de plus en plus souvent des pilotes de ligne qui se convertissent mystérieusement en « Sky Devils » (diables du ciel), mais aussi des gens, comme vous et moi, qui semblaient avoir les pieds sur terre, jusqu’au jour où… Leur esprit bascule et leurs pulsions se déchaînent : l’automobiliste fonce soudain sur une terrasse de brasserie ; le sourire aux lèvres, le paisible père de famille place des bûches dans l’âtre puis en garde une à la main et se retourne vers ses enfants pour les massacrer ; l’épouse endormie se relève tranquillement une nuit et revient vers le lit conjugal avec une hache ; le collégien remonte le chemin de l’école l’air rêveur avec un fusil d’assaut dans son sac… Tous ces cas sont authentiques. Une vraie épidémie. Plus personne ne semble à l’abri de ces accès de démence meurtriers se soldant par le suicide ou par l’hébétude du tueur incapable de s’expliquer rationnellement.
Une nouvelle normalité américaine
Aux États-Unis, en 2018, la fréquence des tueries de masse est devenue telle qu’elle a atteint, certains mois, un massacre par jour. Au point que les médias n’évoquent plus que les épisodes qui font beaucoup de morts. Ces actes se sont banalisés. Comme le disent des journalistes américains : « It’s the new normal. » C’est la nouvelle normalité et l’on accepte de ne pas comprendre ces carnages ou de les réduire à des explications toutes simples, comme la jalousie, l’isolement, une enfance martyre, un divorce, des soucis financiers… Et l’on accuse souvent la dépression elle-même plutôt que le médicament qui devait la soigner. On oublie au passage que ces facteurs qui peuvent perturber ou rendre amer ne suffisent pas à fabriquer un tueur dément qui passe à l’acte. En observant de près les nombreux cas, des dénominateurs communs apparaissent bel et bien : cette nouvelle normalité consiste souvent, chez les auteurs de ces monstruosités absurdes, à consommer des antidépresseurs ou des somnifères, voire les deux. En particulier chez les jeunes School Shooters, responsables d’une tuerie scolaire, et chez des soldats revenus des combats.
Travis Reinking est un cas typique. En avril 2018, ce militaire de 29 ans, vétéran d’Afghanistan, a ouvert le feu au fusil semi-automatique sur les clients d’un restaurant de Nashville, faisant quatre morts et quatre blessés. Reinking consommait des antidépresseurs. Autre exemple caractéristique, Stephen Paddock, l’auteur de la fusillade d’octobre 2017, à Las Vegas, qui a tiré depuis son hôtel sur la foule de 22 000 personnes venues écouter de la musique country. Après avoir tué 59 personnes et blessé plus de 800 autres, il s’est suicidé. L’homme consommait du Valium, l’un des médicaments à base de benzodiazépine qu’on retrouve régulièrement chez les tueurs suicidaires. Et l’on peut citer des dizaines d’autres raptus similaires.
Un fléau mondial
On a d’abord voulu croire que l’explosion du phénomène ne concernait que les États-Unis où les armes sont en vente libre. Mais ça n‘est pas suffisant car ces meurtres suicides prennent la dimension d’un fléau à l’échelle mondiale. L’Asie est touchée, tout comme l’Europe qui les voit aussi augmenter au fil des années. Bien sûr, la réglementation du commerce des armes réduit considérablement les occasions de passage à l’acte, mais elle n’empêche pas leur progression.
Même en limitant notre regard aux tueurs de masse les plus meurtriers, on perçoit cette montée et la concomitance des médicaments psychotropes. Tel Anders Breivik qui, il y a huit ans, a tué 77 personnes, dont de nombreux enfants, et fait 151 blessés en Norvège. Il consommait de l’éphédrine, une amphétamine, et du stanozolol qui, comme de nombreux stéroïdes anabolisants, peut aussi entraîner des désordres psychiques, des changements d’humeur, des accès de colère… Des produits auxquels les médias ont prêté peu d’attention, se focalisant sur son idéologie d’extrême droite.
Et l’on peut lister ainsi d’innombrables tueurs de masse qui consommaient des médicaments psychotropes. Le plus étonnant est de constater combien les grands médias négligent cet aspect. Certes le secret médical en Europe et aux États-Unis est un obstacle pour prendre conscience de leur fréquence. Il faut reconnaître aussi que le travail des journalistes sur ces sujets explosifs est généralement expéditif et se limite à reprendre les dépêches des agences de presse, ces drames étant vite remplacés par d’autres. Mais quand des journalistes font l’effort de chercher des informations directement auprès de la police, de parents ou de médecins, on découvre que souvent, les tueurs de masse prenaient ces médicaments. Cela étant, les laboratoires font également pression sur les rédactions et même sur les magistrats pour éviter la mise en cause de leurs produits.
Des risques identifiés mais négligés
Les effets secondaires sont pourtant bien identifiés par des études pharmacologiques publiées dans des revues scientifiques indépendantes de l’industrie et de ses publicités lucratives. Au point que les autorités sanitaires, comme la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis depuis 2007, obligent les firmes pharmaceutiques à les mentionner sur leurs notices. Parmi les réactions fréquentes, on y trouve aussi les idées suicidaires, les actes agressifs, les états de confusion, les accès paranoïaques, les hallucinations, à côté d’une kyrielle d’autres troubles notamment des effets désinhibiteurs favorisant les passages à l’acte.
De fait, les études médico-scientifiques qui documentent la corrélation entre les médicaments de ce type, les envies suicidaires et les agressions sont nombreuses, surtout celles qui pointent les benzodiazépines et les antidépresseurs tels que les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS). Le surcroît significatif de risque de passage à l’acte est parfaitement démontré. On sait aussi qu’il s’aggrave quand les règles de prescription ne sont pas respectées par le médecin ou par le patient. Il suffit désormais de lire attentivement les notices, comme chacun est censé le faire, pour s’apercevoir que la fréquence de ces effets indésirables est elle-même connue avec une précision étonnante. Certains troubles secondaires sont répertoriés comme apparaissant dans un cas sur 100, un cas sur 1 000, etc. Cela fait beaucoup si l’on songe qu’en France des millions de personnes consomment régulièrement des médicaments psychotropes.
En se plongeant dans les études, on relève qu’ils contribuent à libérer nos pulsions, mais aussi à nous rendre insensibles aux souffrances et à la perspective de notre mort et à celle d’autrui. Rappelons à ce sujet que de nombreuses armées, depuis la Seconde Guerre mondiale, prescrivent à leurs soldats des psychotropes émoussant la douleur, la fatigue, la peur de la mort et l’empathie. Autre aspect frappant : la corrélation historique entre l’explosion de la consommation généralisée et la multiplication des tueries folles s’achevant par un suicide. Elle est sidérante aux États-Unis où les ventes de ces médicaments atteignent des records. Beaucoup en prennent depuis l’enfance ou l’adolescence, et après, très au-delà des durées de prescription préconisées sur les notices officielles adressées aux médecins.
Reste que ces informations peu lues par les patients devraient l’être sérieusement. Il faudrait même les relire de temps en temps, car les avertissements évoluent et peuvent intégrer des effets secondaires récemment découverts. De plus, ces notices ne sont pas rédigées dans un style soucieux de retenir le lecteur. Leur présentation est souvent confuse, au point de se demander si les laboratoires ne le font pas délibérément pour éviter de rebuter la patientèle. Quant aux médecins qui devraient bien connaître les tenants, certains négligent la fréquence des effets indésirables et ne se soucient pas assez de leur gravité ou du nomadisme médical de patients dépendants qui veulent augmenter leurs doses en cumulant les ordonnances. C’était le cas d’Andreas Lubitz. Avec le temps, des prescripteurs oublient ces nombreux effets et les recommandations. Il est éloquent que L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) trouve nécessaire de rappeler aux médecins qu’ils doivent les lire.
Le puzzle infernal
On ne peut pas oublier la déficience, souvent constatée, du suivi médical du patient sous traitement. Si des médecins ont pour principe de passer au moins une demi-heure avec chaque patient pour assurer la qualité de l’échange, d’autres sont trop hâtifs. Autre défaillance, les centres régionaux de pharmacovigilance observent que certains médecins ne prennent pas le temps de leur signaler les effets indésirables qu’ils constatent chez leurs patients, alors qu’ils sont tenus de le faire. Il en résulte une sous-estimation des dangers et de leurs fréquences.
Et il ne faut pas compter sur la grande presse médicale pour aborder le sujet avec sérénité. Elle a joué un rôle décisif en promotionnant ces médicaments parallèlement aux visiteurs médicaux qui ont exagérément vanté leurs vertus. Les Dr Bernard Topuz et Édouard Zarifian, pour ne citer qu’eux, dénonçaient déjà dans les années 1990 l’extension de leur consommation et le lobbying visant à habituer la population à l’idée fallacieuse que le médecin est un prescripteur de médicaments pour tous les troubles, y compris pour les épisodes d’ennui, de stress ou de tristesse faisant naturellement partie de la vie.
Les solutions ?
La nécessité de réviser le système de prescription des médicaments psychotropes devient absolument incontournable. Ne faut-il pas limiter aux seuls médecins formés aux traitements psy le pouvoir de les prescrire et d’en suivre les effets ? À tout le moins, il est urgent de repenser la place des psychothérapies non chimiques dans notre monde où les pressions, le stress et la réduction du temps accordé aux relations humaines et aux activités gratuites nous menacent gravement.
À propos de l'auteur : Roger Lenglet est également l'auteur de Psychotropes et tueries de masse, éd. Actes Sud, 2019.
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Psychotropes et tueries de masse, de Roger Lenglet (éd. Actes Sud)
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