Accueil Entretiens Dr. Kempenich : "La médecine anthroposophique va plus loin"
Dr. Kempenich : "La médecine anthroposophique va plus loin"
Peu connue, bien que pratiquée par des milliers de médecins dans le monde, la médecine anthroposophique accèdera t-elle progressivement à une forme d’officialisation en France ? Le Dr Robert Kempenich rappelle les grands principes de cette approche intégrative de la médecine, fondée sur les travaux de Rudolf Steiner, philosophe autrichien du début du XXe siècle.
Alternative Santé Vous êtes un fervent promoteur de la médecine anthroposophique en France, où elle reste assez méconnue. De quoi s’agit-il exactement ?
Dr. Robert Kempenich La médecine anthroposophique est considérée comme une médecine alternative et complémentaire, au même titre que l’homéopathie, la médecine chinoise, l’Ayurveda, la naturopathie ou les médecines manuelles. Elle est prise en compte au niveau européen dans le cadre du projet « CAMbrella », une étude paneuropéenne menée par 16 universités, dont j’ai été membre du comité consultatif. Cette étude propose d’harmoniser d’ici à 2020 le statut de ces médecines en Europe, en s’appuyant sur les études cliniques, la qualité des enseignements et la formation des praticiens, afin de clarifier leur crédibilité et de les rendre plus lisibles. Cependant, à l’expression consacrée de « médecine alternative et complémentaire », je préfère celle, plus juste, de médecine intégrative. En effet, la médecine anthroposophique n’est ni une alternative, comme si elle se substituait à la médecine universitaire, ni une médecine complémentaire, comme si elle s’y ajoutait. Elle s’intègre à la médecine universitaire, sur laquelle elle s’appuie, pour former une démarche commune. Elle va plus loin en procédant à un élargissement thérapeutique. Pour le patient, cela consiste, en quelque sorte, à bénéficier du meilleur des deux médecines. Elle est semblable à une spécialité, mais sans en avoir le statut, du moins en France, au contraire de la Suisse (par exemple), où la médecine anthroposophique jouit d’une véritable reconnaissance et où ses soins sont remboursés. Les médecins qui souhaitent la pratiquer doivent suivre un cursus spécifique en complément du tronc commun, comme à l’université de Strasbourg, dans le cadre de la formation continue, en trois ans. Ils sont donc « doublement formés ». On compte des milliers de médecins à orientation anthroposophique dans le monde. C’est en Allemagne, son berceau, qu’ils sont le plus nombreux. En France on compte environ 350 praticiens.
A. S. Quelles sont les spécificités de cette approche ?
R. K. Elle se fonde sur les travaux du philosophe autrichien Rudolf Steiner. Au début du XXe siècle, celui-ci s’est inspiré de Goethe pour décrire l’être humain et le monde. Dans l’approche anthroposophique de la médecine, le patient ne se résume pas à un ensemble de données biologiques et physiques. Cette vision de la médecine relève d’un réductionnisme scientifique qui remonte au XVIIe siècle, avec Galilée qui déclara à Pise : « N’est vrai que ce qui est mesurable et pondérable. » La médecine anthroposophique, en plus du niveau physique et biologique, considère dans son approche de l’être humain plusieurs niveaux qui s’intègrent ensemble dans une globalité. C’est ce qui fait que deux personnes souffrant d’asthme, par exemple, ne recevront pas le même traitement. Les maladies sont toujours le résultat d’un déséquilibre entre les niveaux biologique, psychique et spirituel, que nous essayons de rééquilibrer entre eux. Notre démarche vise à stimuler ce que le sociologue Aaron Antonovsky appelait la « salutogénèse », c’est-à-dire la faculté d’autoguérison. Il avait déduit l’existence de cette force en observant le devenir très différent de femmes ayant été internées dans des camps de concentration durant la Seconde Guerre mondiale. Certaines parvenaient ensuite à reconstruire leur vie alors que d’autres restaient dans un état de dépression avancé.
A. S. Pour stimuler cette capacité d’autoguérison, la médecine anthroposophique s’appuie-t-elle sur des remèdes spécifiques ?
R. K. La pharmacopée anthroposophique s’appuie sur des médicaments issus des trois règnes de la nature : minéral, végétal et animal. Elle s’inscrit dans la tradition occidentale, dans la lignée de la médecine alchimique de Paracelse et de l’homéopathie de Hahnemann. Elle s’appuie sur le lien intime tissé entre l’homme et la nature, qui ont évolué ensemble. Son fondement est la loi d’analogie, ou loi des signatures, qui permet de mettre en relation les substances de la nature avec les processus intérieurs de l’homme. Les médicaments se présentent sous forme phytothérapique ou homéopathique, dilués et dynamisés, mais la spécificité de la médecine anthroposophique consiste à utiliser de manière différenciée les feuilles, les racines ou les fleurs d’une plante en fonction de l’effet recherché. On recourt également à des minéraux tels que la silice, l’or ou l’argent, mais aussi à des remèdes issus d’animaux comme l’abeille, la fourmi ou le serpent (venin). La médecine anthroposophique permet souvent d’éviter ou de limiter le recours aux médicaments lourds : antibiotiques, psychotropes, anti-inflammatoires, etc. Lorsque nous prenons en charge les maladies chroniques précocement, nous pouvons réussir à ralentir leur évolution, voire à les guérir. Il est à noter que le rapport au patient est différent : en médecine anthroposophique, il n’est plus perçu comme un objet à étudier et à traiter, mais il redevient sujet. Le patient est responsabilisé, il redevient co-acteur de sa santé.
A. S. Pour le cancer, la médecine anthroposophique dispose d’un remède en soin de support réputé pour son action, le gui (Viscum album), très utilisé en Allemagne, mais peu en France
R. K. Je suis titulaire d’un diplôme universitaire en cancérologie et je connais bien le sujet du Viscum album ; je viens d’ailleurs de publier un ouvrage à ce sujet. En Europe, et en Allemagne en particulier, le remède, qui s’administre en injection sous-cutanée, est utilisé chez 45 à 70 % des malades en soin de support, son utilisation se développe de plus en plus, notamment en Suisse, en Belgique et en Autriche. Il existe sur le sujet 45 études randomisées en double aveugle (considérées comme le plus haut niveau de recherche clinique), ainsi qu’une centaine d’études prospectives et plusieurs systematic reviews, qui sont de grandes compilations d’études cliniques. Malgré leur importance, quantitative et qualitative, elles sont hélas peu lues, et donc peu connues. Toutes s’accordent à montrer que le Viscum album améliore la qualité de vie du patient et lui permet de mieux supporter son parcours en oncologie, qui s’accompagne souvent d’effets secondaires importants comme la fatigue, des problèmes de cognition, des nausées, des vomissements. Concernant le cancer du pancréas, l’un des plus agressifs et des plus meurtriers qui soient, une étude clinique qui compare le traitement par Viscum album à celui de la chimiothérapie par Gemcitabine® a montré une prolongation de la durée de vie de plusieurs mois. Une autre étude menée en Bulgarie en 2013 sur des patients traités par Viscum album en soins palliatifs, qui n’étaient donc plus sous traitement par chimiothérapie, a démontré le même effet, en plus de l’amélioration de la qualité de vie. L’étude a même été arrêtée avant son terme, ce qui est rare, car le bénéfice apporté par le gui était évident et largement démontré.
A. S. Mal connue en France, la médecine anthroposophique a été taxée de « courant médical à risque de dérives sectaires »…
R. K. Oui, c’est spécifique à notre pays. Il ne viendrait à l’esprit de personne en Allemagne d’accuser Rudolf Steiner de dérives sectaires, lui dont la pensée s’inspire de la pensée de Goethe pour décrire l’être humain et le monde, malgré un vocabulaire pouvant paraître ésotérique de prime abord... En 2013, en tant que président du Conseil national professionnel des médecins à expertise particulière section médecine anthroposophique, j’ai demandé à être auditionné devant la commission du Sénat sur les dérives thérapeutiques et sectaires. J’ai tenu à clarifier ce qu’est réellement la médecine anthroposophique, et ce qu’elle n’est pas. Soulignons que dans toute l’Europe, la médecine anthroposophique est respectée et appréciée. En Allemagne, par exemple, les écoles Waldorf, dont l’approche pédagogique est basée sur les enseignements de Rudolf Steiner, sont particulièrement prisées, avec des listes d’attente de plusieurs années pour y entrer. En Californie, dans la Silicon Valley, les hauts cadres inscrivent leurs enfants à l’école Waldorf qui y est implantée. Cela fait une quinzaine d’années que la médecine anthroposophique, en tant que médecine intégrative, est en train d’émerger. Son officialisation dans le monde se fait petit à petit.
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