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Les prérogatives de l’OMS et de l’agence européenne du médicament renforcées

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Il apparaît de plus en plus que la crise du Covid-19 ait pour conséquence un renforcement des pouvoirs d’organisations supranationales, telles l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Agence européenne des médicaments (EMA). Après avoir piloté la stratégie anti-Covid-19 mondiale avec plus ou moins d’efficacité et d’adhésion de la part des États, cette chaîne décisionnelle descendante (OMS-EMA-ANSM) semble vouloir poursuivre sa mutation avec un nouveau Règlement sanitaire international.

Le RSI, ciment de la riposte mondiale aux épidémies

Un certain nombre d’observateurs et d’experts estiment que la réponse des pays à l’épidémie de Covid-19 n’a globalement pas été conforme aux préconisations du Règlement sanitaire international (RSI), un texte de référence mondial en vigueur depuis 1951. Pour y remédier, l’OMS envisage une « réforme urgente des systèmes de prévention et de réponse aux pandémies » qui sera débattue lors d’une session spéciale à la fin du mois de novembre.

La première initiative internationale en matière de santé remonte à 1851 avec la Conférence sanitaire internationale de Paris ciblant principalement le choléra. Suivront un Office international d’hygiène publique en 1907, puis un Comité d’hygiène créé par la Société des Nations en 1921 déjà basée à Genève. Le RSI en tant que tel est adopté par les États membres de l’OMS en 1951. Il vise alors à lutter contre le choléra, la peste, la fièvre jaune, la fièvre récurrente, la variole et le typhus dont les foyers sont encore nombreux à cette époque.

La version actuelle du texte est le fruit d’un processus de révision initié en 1969 après la grippe dite « de Hong Kong » et affiné à la suite de la première épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) entre 2002 et 2004. Adoptée en 2005 et entrée en vigueur en 2007, cette mouture est celle qui prévaut encore aujourd’hui. 

Un manque de coordination devant la menace pandémique

La nécessité de faire évoluer le RSI résulte notamment d’un bilan de conformité des États pour le moins mitigé, constaté à l’occasion des crises qui se sont succédé depuis le début des années 2000 (SRAS, grippe aviaire, grippe A, MERS, Ebola…). La 74e Assemblée mondiale de la santé qui s’est tenue à la fin mai 2021 a entériné le principe d’une session extraordinaire dès la fin novembre « en vue d’élaborer une convention, un accord ou un autre instrument international de l’OMS sur la préparation et la riposte aux pandémies ».

Le professeur Keiji Fukuda, épidémiologiste de renom, justifie cette nouvelle révision dans une interview à Swissinfo.ch en mai 2021 par le constat que la réaction des pays au Coronavirus a été trop nationaliste et mal coordonnée. Si l’actuel RSI donne des directives détaillées, les pays ont encore toute latitude de les mettre en œuvre ou non. Le Pr Fukuda et d’autres experts appellent à un droit international plus contraignant afin que les 196 pays signataires du RSI appliquent réellement le règlement sur le plan national et contribuent activement à son application sur le plan international.

Des capacités nationales de détection insuffisantes

Un article du quotidien suisse Le Temps, publié en juin 2020, dresse le constat que moins du quart des États membres de l’OMS s’étaient conformés, en 2012, aux obligations du RSI de mettre en place les moyens de détecter une urgence sanitaire. Une carence qui expliquerait en partie les réponses défaillantes à des précédents, tels que la grippe A (H1N1) en 2009 ou Ebola en 2014.

Le controversé professeur Didier Raoult lui-même avait pointé l’absence, en France, de système de détection des signaux permettant d’identifier une épidémie assez tôt. Il expliquait, à l’occasion d’un colloque sur les maladies infectieuses émergentes organisé par la sénatrice bas-rhinoise Fabienne Keller en 2012, la nécessité de changer la nature de la veille des signaux et de recourir à des analyses massives de biostatistiques.

Les poids lourds à la traîne

L’enjeu de la refonte du RSI de fin d’année serait donc, selon le directeur général de l’OMS, de donner le pouvoir à son organisation de contraindre davantage les États grâce à un véritable « traité pandémique ». Mais comment faire adhérer 195 pays lorsque le plus peuplé au monde, qui est aussi le pays « de naissance » du SARS-CoV-2 et un des principaux contributeurs au budget de l’OMS, est le premier à se faire fustigé pour appliquer les directives internationales ? En effet, la Chine a procédé à la déclaration d’urgence le 30 janvier 2020, soit plus d’un mois après le début « officiel » de l’épidémie – il est apparu depuis que des cas s’étaient probablement déjà manifestés en octobre 2019, voire encore plus tôt.

De leur côté, les États-Unis et l’Europe, une fois l’alerte donnée, n’ont pas été en reste pour tergiverser et perdre un temps précieux avant de prendre des mesures en ordre dispersé sous la pression de services d’urgence hospitaliers saturés.

Balance bénéfices/risques hasardeuse

Le constat, bientôt deux ans après après le début de la crise du Covid, donnerait volontiers à penser qu’un « instrument » supranational renforcé pour affronter d’éventuelles autres pandémies pourrait s’avérer bénéfique dans l’objectif de sauver des vies et limiter les dégâts économiques. Mais l’épisode Covid-19 montre bien que ce renforcement et le surcroît d’efficience qui est supposé en découler risquent de se heurter aux tensions internationales récurrentes, notamment celles entre la Chine et les États-Unis pour ne citer qu’eux.

N’est-il pas à craindre aussi qu’un tel renforcement n’entérine la restriction de la liberté de soigner telle qu’elle s’est manifestée sous de nombreuses formes depuis le début de 2020 ? On ne saura jamais ce qu’il serait advenu de cette épidémie si l’OMS et les États avaient laissé la liberté aux médecins et aux hôpitaux d’ajuster leurs soins plutôt que d’imposer, d’en haut, un protocole très restrictif (pour ne pas dire, parfois, une interdiction de soigner), ce qui constitue, soit dit en passant, un précédent inédit…

L’Europe aussi veut son supersoldat de la santé

Le Conseil de l’Union européenne a publié un communiqué de presse le 28 octobre 2021 annonçant un accord en faveur d’un rôle également renforcé de l’Agence européenne des médicaments (ou EMA pour European Medicines Agency), toujours dans cette optique de lutter contre les crises sanitaires futures. Le mandat actualisé de l’EMA viserait à :

  • prévenir d’éventuelles pénuries en médicaments et en dispositifs médicaux ;
  • favoriser le développement de médicaments « de haute qualité, sûrs et efficaces » en réponse aux urgences de santé publique ;
  • structurer les groupes d’experts chargés de l’évaluation des dispositifs médicaux à haut risque et de la préparation aux crises et à leur gestion.

Ce projet d’actualisation du mandat de l’EMA s’inscrirait dans le cadre plus large d’une « Union européenne de la santé » à venir, qui prévoit un mandat renforcé pour le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies ainsi qu’un projet de législation sur les menaces transfrontalières pour la santé.

Autant d’outils qui, sur le papier, paraissent utiles pour une meilleure coordination. Mais au service de quelle vision de la santé, de la prévention, de la médecine, de la recherche seront-ils déployés et mis à profit ? À en juger par ce qui s’est passé jusqu’ici, il y a fort à craindre que ces nouveaux dispositifs juridiques en gestation augurent d’une forme d’autoritarisme encore accru en matière de gouvernance mondiale de la santé, cette dernière se limitant pour l’instant à la gestion des pandémies.

 

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Alternative Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé


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