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Covid-19 : la prévention passée aux pertes et profits

Nos décideurs politiques ont ouvert la porte à la pandémie du Covid-19 et au tsunami de décès en méprisant la prévention et en démantelant le système de soins. Ils devront être en mesure d’y répondre. Négliger la santé publique est un crime d’état. Nul ne doit plus jouer avec nos vies et nous abandonner à des sacrifices humains massifs. Recherche de profits et gestion à court terme n’excusent rien.

Roger Lenglet

Le roi est nu. A-t-on déjà vu un gouvernement livré à ce point à l’improvisation devant une menace sanitaire ? Dénis, mensonges et contradictions, autoritarisme et coercition sur fond de pénurie de masques, de gants, de respirateurs artificiels et de personnel soignant… Ce n’est plus de la gestion de crise, mais une simple démonstration d’incompétence et de mauvaise foi sans complexe. Jusqu’à l’écœurement. À bien y regarder, les épisodes de cette crise sanitaire ne font que dérouler la ­chronique d’un charnier prévisible…

La prévention ? Même pas en rêve !

Les fautes ont succédé aux fautes. La ­première a été l’absence d’anticipation, puis la confusion a pris le relais. Aussitôt, on a dupé les Français en niant l’utilité des masques pour masquer les manques. La crise sanitaire s’est doublée d’une crise de communication. La suite est à l’avenant.

Ce mépris de la prévention est d’autant plus honteux que les épidémiologistes rappellent régulièrement que la diffusion des maladies émergentes ou réapparues s’amplifie avec l’accroissement des populations, la concentration urbaine et les flux de biens et de personnes. La liste des pandémies planétaires montre qu’elles sont désormais fréquentes et souvent redoutables.

Les infectiologues, eux-mêmes, ont souvent répété, lors des pandémies des deux dernières décennies, que la leçon urgente à tirer était de renforcer la veille sanitaire et la réactivité des autorités pour prévenir la diffusion du virus, sans oublier d’assurer une prise en charge adaptée pour éviter de mettre en danger les soignants… Le Professeur Raoult lui-même avait remis un rapport à ce ­sujet au ministre de la Santé, en 2003, pour dénoncer l’extrême faiblesse du plan Pandémie français 1.

Et dès 2009, un rapport de la CIA, aussitôt traduit et publié en France 2, soulignait le risque de voir surgir des mutations du coronavirus du Sras provoquant la pandémie mondiale d’une nouvelle maladie respiratoire très contagieuse, sans traitement adapté, à partir de premiers foyers en Asie.

S’y ajoute la fréquence des ­zoonoses (contaminations humaines d’origine animale) dues aux élevages intensifs et aux pénétrations toujours plus profondes des hommes dans les réserves naturelles. Passons sur le spectre des manipulations bactériologiques et virologiques à des fins relevant du secret d’État, qui hante très légitimement l’opinion publique. Il n’y a plus lieu de démontrer la multiplication des menaces épidémiologiques liées à la mondialisation et à la dérégulation ultralibérale. Il est, dès lors, criminel de ne pas les endiguer par une politique de prévention à la mesure des enjeux. Cette faute est au cœur de la ­catastrophe mondiale du ­Covid-19. Mais une autre raison s’y ajoute, qui rendent toutes ces fautes possibles…

Des pandémies si éloquentes…

  • 1919-1920 Grippe espagnole
  • 1957 Grippe asiatique (H2N2)
  • 1969 Grippe de Hongkong (H3N2)
  • 2003 Sras (coronavirus)
  • 2009-2020 Sida (VIH)
  • 2009 Grippe A (H1N1)
  • 2012 (rebond en 2017) MERS-CoV (Coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient)
  • 2013-2016 (rebond en 2018) Ebola
  • 2014 Chikungunya
  • 2019-2020 Covid-19 (coronavirus)

S’y ajoutent, chaque année, les grippes, les co-infections de Lyme, etc.

Vous avez dit « mortalité évitable » ?

Il y a en effet plus ahurissant : la fâcheuse habitude des décideurs français de reléguer la prévention, quels que soient les risques. Ils prolongent ainsi confusément une mortalité évitable. Un énorme et continuel sacrifice humain. L’inculture en santé publique de nos dirigeants est le dénominateur commun des gouvernements successifs. On retrouve ce facteur déterminant derrière chaque crise sanitaire, dans la manière brutale dont ils donnent la priorité aux calculs à court terme et aux desiderata des gros acteurs économiques.

Explications… Une base de la santé publique est la lutte contre la mortalité évitable, c’est-à-dire contre les causes de décès qu’on peut combattre en les prévenant et en améliorant le système de soin. En 2019, un rapport de l’Office européen de statistiques (Eurostat) sur la mortalité évitable dans l’Union européenne et chez leurs proches voisins a révélé que les deux tiers des décès survenus pendant l’année 2016 chez les personnes ayant moins de 75 ans auraient pu être évités, cela par des « interventions efficaces dans le domaine de la santé publique et de la prévention ». Soit 1,2 million de décès sur 1,7 million !

On compte, bien sûr, parmi les actions possibles pour réduire cette mortalité, celles qui permettraient de réduire le tabagisme et l’alcoolisme, qui font ensemble plus de 120 000 morts par an en France. On pourrait aussi faire baisser fortement le nombre de victimes de cancers et de maladies neurodégénératives en limitant les expositions aux produits chimiques au travail et à la maison par des normes plus sérieuses et n’obéissant plus aux compromis imposés par les industriels et les grands employeurs. De même, la réduction des risques d’accidents dans tous les secteurs ne dépend que d’une volonté politique. On peut multiplier les exemples.

Rappelons, par ailleurs, que peu de médecins sont formés à la santé publique et tout particulièrement à la prévention, encore aujourd’hui peu appréciée du monde médical. Bien sûr, cela n’exclut pas de réduire aussi la mortalité par l’amélioration des soins médicaux et des traitements des maladies (prévention secondaire)

La pandémie aura été un terrible ­révélateur de l’absence de prévention et de l’inculture en santé publique au sommet de l’état. Au point qu’on aurait pu la sentir venir. La répétition de plus en plus fréquente des crises sanitaires au cours des dernières décennies en porte les indices. La liste est longue : sang contaminé, amiante, farines animales, Mediator et autres médicaments trop vite autorisés à la vente et trop aveuglément prescrits, neurotoxiques favorisant les maladies neurodégénératives et les troubles cérébraux (sels d’aluminium, mercure, plomb), cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, nanoparticules passant entre les mailles du filet réglementaire, densification des ondes électromagnétiques, dissémination des sources radioactives… Pour ne citer que ces dossiers-là ! Tout cela révélait que la prévention n’est pas dans le calendrier des décideurs politiques. Le souci de réduire la mortalité générale ou de protéger la santé de la population, ils n’y songent tout simplement pas d’ordinaire, bien que tous les ministères soient concernés.

Comme si la chose ne dépendait que de la fatalité ! Il faut le répéter : nos dirigeants ne connaissent rien à la prévention ou à peine plus que le commun des mortels. « A l’Élysée et à Matignon, nous sommes habituellement à des années-­lumière de la santé publique », m’a confié le proche conseiller de ministres et d’un précédent président de la République. Il préfère se faire oublier, mais en glissant une autre confidence : « La seule chose qui nous vient à l’esprit en termes de santé publique est la montagne d’argent apportée par ­l’industrie pharmaceutique, sur laquelle nous sommes assis et dont nous ne voulons pas nous priver. »

De fait, on pense généralement que c’est le ministre de la Santé qui en a la charge. Or, la plupart du temps, il ne connaît pas grand-chose non plus au domaine, même quand il a été médecin ou pharmacien. Il y a en effet un abîme entre le savoir médical du praticien et celui du spécialiste de santé publique engagé dans les actions de prévention, s’efforçant de comprendre les grandes courbes de mortalité et de maladies dans la ­population pour sauver des vies. Ce qui fait, par exemple, que les médecins généralistes n’ont pas aperçu la multiplication des ­victimes de l’amiante dans le cadre de leur cabinet, alors que les toxicologues et les épidémiologistes établissaient que ces fibres tuaient déjà 2 000 personnes par an en France, en 1996.

Même lorsqu’il a la chance de ­disposer d’un directeur général attentif aux prévisions épidémiologiques et aux grands risques, le ministre de la Santé reste rivé sur le calendrier de ses propres priorités : réunions politiques et administratives, signatures de documents abondants, suivi des projets de réformes touchant le système de santé, composition des ­décrets, ­réception de personnalités, ­prestations médiatiques (inaugurations, discours, ­plateaux télévisés), réponses aux demandes des lobbies et des associations que veut bien lui transmettre son directeur de cabinet, conciliabules, petits fours et mondanités, traitements des affaires hautement confidentielles et de celles qui le concernent à titre personnel… Et gestion discrète des nombreuses crises potentiellement ­explosives.

Nécessité de la pression populaire

Peut-on espérer que nos responsables politiques améliorent sérieusement la prévention ? Non, sauf si nous les y poussons avec force, c’est-à-dire par une mobilisation populaire de grande ampleur. En matière de santé publique les ministres n’avancent qu’à reculons, sous la pression, surtout quand un scandale éclate dans les médias et qu’il donne lieu à des procès. Espérons que les dépôts de plainte qui s’accumulent vont réussir à faire bouger les lignes. Si la justice veut bien les instruire.

Un immense sacrifice humain, permanent…

Résultat, les responsables politiques ­contribuent à des hécatombes sans y ­prêter attention. Une boucherie continuelle sur l’autel de l’affairisme, de la croissance à tout prix, du retour sur investissement… et de la réduction des coûts, dont celle des mesures préventives ! Le manque de masques en est le résultat, ainsi que la ­réduction des lits d’hôpital, de soignants et d’établissements.

Autre exemple, il est de coutume que le ministre du Travail laisse les partenaires sociaux et leurs « experts » s’entendre au sein d’une commission feutrée pour fixer les limites réglementaires des expositions aux produits toxiques. Or, ces normes intègrent communément le sacrifice de centaines, voire de milliers de personnes par million de gens exposés. Ce sacrifice humain programmé n’est pas connu de l’opinion publique. Il n’est même pas soumis à l’avis du Comité d’éthique et encore moins débattu à l’Assemblée nationale.

La pandémie nous aura rappelé aussi que les pensionnaires des maisons de retraite et des Ehpad, dont la vulnérabilité s’aggrave avec l’âge, doivent être attentivement protégés et entourés par un personnel suffisant, bien formé et correctement rémunéré. Il est inadmissible que ces établissements soient si propices aux épidémies, outre la mortalité liée à la maltraitance insidieuse. De leur amélioration aussi les élus doivent répondre par une meilleure réglementation de la gestion de ces établissements et un vrai contrôle.

La pandémie qui vient de paralyser les nations porte elle-même les indices des futures catastrophes sanitaires. Elles seront plus ravageuses encore si nous n’exigeons pas de nos élus qu’ils assument avant toute chose la mission de nous protéger et qu’ils en acquièrent la culture et les valeurs. Sans quoi nous serons voués à passer notre ­santé aux pertes… et profits !

 

1. Pr Raoult, Rapport de mission, 17 juin 2003.

2. Rapport de la CIA traduit en France : Le nouveau rapport de la CIA : comment sera le monde en 2025 ?, Robert Laffont, 2009, p. 250-251.

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