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Nouveaux OGM : « Les semenciers ne sont pas transparents sur les méthodes utilisées » (Inf’OGM)

Depuis vingt ans l’association Inf’OGM est à l’avant-garde des combats pour la transparence des procédures et l’information autour des organismes génétiquement modifiés (OGM), alimentant ainsi le débat public par une veille citoyenne exigeante. Alors que l’agrobusiness fait pression sur l’Union européenne pour qu’elle qu’elle accepte sans contrôle une nouvelle génération d’OGM et que demeurent des interrogations sur les risques pour la santé, nous faisons le point avec Christophe Noisette, rédacteur en chef de la revue Inf’OGM.

La rédaction

Beaucoup de Français pensent qu’il n’y a plus d’OGM en France. Est -ce vrai ?

Théoriquement, il n’y a plus d’OGM transgéniques cultivés dans les sols français depuis 2008. Le seul OGM transgénique autorisé dans l’Union européenne est le maïs Bt de Monsanto qui produit un insecticide, mais il a été interdit en France en 2008. Ça ne veut pas dire, évidemment, que les Français n’en consomment pas. Il y a d’abord certains produits qui contiennent des OGM d’origine végétale et sont étiquetés comme tels, mais il y a aussi tous les produits dérivés d’animaux nourris avec des OGM qui ne sont pas étiquetés : œufs, fromage, viande… La France importe chaque année entre 4 et 5 millions de tonnes de soja transgénique du Brésil, d’Argentine et des États-Unis pour nourrir notre bétail.

On évoque souvent des risques de contamination d’un champ à l’autre

On pense aux contaminations dans les cultures, mais le phénomène a lieu en réalité à tous les niveaux de la chaîne alimentaire : camions de transports, silos, entrepôts, usines de transformation… On sait que si les procédures ne sont pas extrêmement rigoureuses et systématiques, c’est clair qu’il y aura des OGM un peu partout. Par exemple, le colza transgénique n’est pas autorisé à la culture en France et pourtant on a détecté la présence d’OGM (à un taux très faible) sur plus de 15 000 hectares de colza en février dernier. Un autre exemple emblématique est celui du riz chinois. La Chine a mis en place des essais dans les champs pour tester un riz transgénique qui produit un insecticide. Ce riz n’a été autorisé dans aucun pays au monde. Et pourtant, depuis dix ans, on le retrouve régulièrement dans les importations en Europe… Concrètement, si vous achetez des pâtes de riz dans un supermarché asiatique, il y a le risque qu’elles contiennent un peu de riz transgénique, et bien entendu elles ne sont pas étiquetées comme telles, puisque c’est totalement illégal. Est-ce dû à une fuite involontaire qui s’est produite à un certain moment, ou y a-t-il une volonté délibérée de contaminer ? La question se pose, car il y a eu plusieurs exemples de contamination délibérée comme le coton Bt en Inde.

On parle beaucoup des nouveaux OGM : de quoi s’agit-il ?

Selon la définition européenne (directive 2001/18) un OGM est « un organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle ». Ces techniques ont évolué ce qui fait que plusieurs types d’OGM coexistent aujourd’hui. Pour faire très simple, la première génération d’OGM, qui a connu un boom dans les années 1950 et 1960, consistait en une mutagenèse aléatoire in vivo. On expose une graine ou une plante entière à des produits chimiques, de la radiation nucléaire ou des rayons ionisants, afin que cette plante mute. On sélectionne ensuite la plante mutée intéressante, comme par exemple une plante devenue tolérante à un herbicide. Ensuite, il y a eu ce qu’on a appelé la transgenèse, qui a émergé dans les années 1990. Elle permettait de construire un transgène constitué de plusieurs séquences d’ADN de différents organismes, de le transférer à un autre organisme pour le modifier et lui faire produire une nouvelle protéine (nouvelle caractéristique). C’est cette transgenèse qui a réveillé l’opinion publique sur la question, puisqu’il y avait là une transgression des barrières entre espèces et, à des fins de recherche, des créations d’organismes surprenants : par exemple des moutons phosphorescents car on y avait inséré un gène de méduse. Enfin, depuis les années 1990 et 2000 sont apparus de nouveaux OGM issus de différents types de mutagenèse, aléatoire ou dirigée, mais réalisée sur des cellules isolées (mutagenèse in vitro). On n’y insère pas un gène extérieur à l’espèce, mais on fait muter directement le génome de la plante ou de l’animal en le manipulant (et parfois même avec une transgenèse préalable). Par exemple, une expérience est en train de se produire en Chine : pour vendre plus de rumstecks, on modifie chez les vaches le gène de la myostatine, qui gère le muscle, pour qu’elles n’arrêtent pas de grossir.

Quelle réglementation s’applique à ces nouveaux OGM ?

C’est l’enjeu brûlant qui arrive à l’agenda dans l’Union européenne. Jusqu’ici le législateur avait renoncé à inclure les OGM issus de la mutagenèse dans le champ d’application de la loi sur les OGM, parce qu’il y avait déjà beaucoup d’espèces mutées (on en compte plus de 3 000 variétés). Si on avait interdit ou régulé cette mutagenèse, il aurait fallu sortir du catalogue des espèces un certain nombre de plantes, refaire des processus d’évaluation onéreux, etc. Donc la loi sur les OGM avait exempté les produits issus de la mutagenèse de son champ d’application. Mais avec l’arrivée des nouveaux OGM issus de la mutagenèse in vitro, la question de l’encadrement juridique se pose à nouveau. Le 25 juillet 2018, la Cour de justice de l’Union européenne a stipulé que ces nouveaux OGM devaient être régulés comme les plantes transgéniques. L’exemption avait été déterminée sur la base d’une utilisation sans risque des plantes mutées ancienne formule… Cette historicité n’existe pas pour les nouveaux OGM. Donc ces nouvelles plantes mutées doivent être évaluées avant commercialisation, et étiquetées après… Mais cet arrêt, bien que d’application immédiate, ne s’est pas encore traduit dans les faits. Et donc dans nos champs, actuellement, cohabitent des plantes mutées ancienne version et des plantes mutées nouvelle version. On est bien en peine de dire lesquelles, car les semenciers (BASF, Bayer, Pioneer, Limagrain, RAGT) ne sont pas transparents sur les méthodes utilisées. Depuis cette décision de la Cour européenne de justice, la bataille fait rage. Les anti-OGM veulent que tous les nouveaux OGM soient régulés (avec évaluation, étiquetage, traçabilité, suivi post-commercial) et les pros OGM veulent qu’on change le cadre juridique européen pour que ces nouveaux OGM ne soient plus considérés comme OGM et échappent à la régulation. L’argument est de dire que les techniques ont évolué, que les nouvelles mutagenèses in vitro sont plus précises et donc moins risquées.

Cette absence de risque est-elle avérée ?

Non. Les mutagenèses posent des problèmes « d’effet hors cible », c’est-à-dire qu’en modifiant un morceau de génome, on ne sait pas ce que cela peut produire à d’autres endroits du brin d’ADN. En gros, on n’a pas une vision d’ensemble de ce que l’on fait. Les scientifiques fonctionnent selon le principe du lampadaire, qui n’éclaire qu’une zone précise : on regarde là où on a fait la mutation, on constate qu’il n’y a pas grand-chose dans les zones connexes à la mutation et donc on considère que c’est précis et sérieux. Pour un évident intérêt environnemental et de santé, il faudrait prendre le temps de tout analyser, mais qui va payer pour ça ? C’est ça la vraie question.

Qu’en est-il des risques sur la santé humaine pour les OGM en général ?

Selon nous, nous ne disposons pas d’informations suffisantes pour déterminer une toxicité ou une innocuité des OGM. Il existe des éléments de preuves pour les deux hypothèses, mais il n’y a rien de concluant. En fait, pour conclure sur cette question-là, il faudrait mettre en place des systèmes d’évaluation beaucoup plus stricts. La première limite se situe au niveau des durées des tests de toxicité. Actuellement, pour faire passer un dossier d’autorisation d’introduction d’OGM dans l’Union européenne, on demande des tests durant lesquels on a nourri des rats pendant quatre-vingt-dix jours avec le produit sans constat d’impact sur la santé… En fait, il faudrait nourrir des rats pendant une vie entière – ce qu’a fait le professeur de biologie moléculaire à l’université de Caen, Gilles-Éric Séralini, en 2012 dans son étude qui montre une plus grande incidence des tumeurs chez les rats nourris au maïs NK603 – et même sur plusieurs générations de rats. Sur ces produits-là, si des questions venaient à émerger, on suppose que ce serait sur des évolutions pathologiques lentes. Donc déjà, la durée actuelle des évaluations obligatoires pour des autorisations de mise sur le marché n’est pas compatible avec une évaluation sérieuse des risques pour la santé. La deuxième limite concerne le nombre réduit de cobayes, qui donne une puissance statistique insuffisante aux recherches, et le choix de rats de laboratoire. Leur état de santé et leurs conditions de vie font que ces expériences ne valent pas grand-chose. Et puis, on fait des évaluations des OGM sans l’herbicide qui sera pulvérisé dessus, ce qui est complètement absurde.

Devant un tel enjeu de santé publique pourquoi ne pas revoir alors l’évaluation ?

Il y a une véritable volonté politique de ne pas prendre le problème à bras-le-corps, parce qu’on ne veut pas que ces évaluations coûtent trop cher aux entreprises. Ce qui est frappant sur les OGM c’est il y a deux poids deux mesures en fonction de qui fait l’étude. Quand le professeur Séralini fait une recherche qui alerte sur les dangers des OGM, on dit que c’est un menteur, un charlatan, un obscurantiste, que ses études ne tiennent pas la route. Par contre, si c’est Monsanto qui fait une étude à peu près similaire – et d’ailleurs moins sérieuse, sur moins de rats, pendant moins longtemps – c’est validé par les agences d’évaluation des OGM. Et cette différence de traitement pose question, notamment celle des conflits d’intérêts au sein des agences d’évaluation et des revues scientifiques. Sur cette question du sérieux de l’évaluation, les « Monsanto Papers » ont montré comment nombre d’études prétendument indépendantes étaient financées. Quant aux agences, elles ne font pas de contre-expertise parce qu’elles n’en ont pas les moyens et se contentent de lire des rapports de 1 200 pages des semenciers. Autant dire que pour y trouver quelque chose qui cloche, il faut se lever tôt. Donc tout le processus d’évaluation est à revoir. Mais ceux qui invoquent ici le principe de précaution sont présentés comme des personnes aux idées moyenâgeuses, pétries de peurs irrationnelles, risquant d’isoler l’Europe… Les semenciers comme les agences prônent l’innovation à tout prix.

Concernant cette idée de progrès, plus de 100 Prix Nobel avaient rédigé une lettre ouverte pour dénoncer l’opposition aux OGM en 2016.

C’est de la manipulation. Leur lettre, qui était adressée à Greenpeace, dénonçait l’opposition de l’association à la culture du riz doré génétiquement modifié pour être enrichi en vitamine A, censé répondre aux carences entraînant des problèmes de cécité dans les pays pauvres. Ils déclaraient que s’opposer à ce riz constituait un «  crime contre l’humanité  », rien que ça. D’abord parmi ces 109 Prix Nobel, beaucoup n’avaient pas plus de compétences que mon voisin sur les OGM. Ensuite, cela fait vingt ans qu’on nous en parle de ce fameux riz doré, et c’est une belle mascarade. Ce genre de promesses humanitaires ne repose, à ce stade, sur rien de concret : c’est un cheval de Troie à fort impact émotionnel. Il faut être clair, il existe actuellement sur le marché des plantes transgéniques, soit des plantes qui produisent des insecticides (plantes Bt), soit des plantes qui permettent de tolérer un herbicide. Elles servent principalement aujourd’hui de nourriture pour le bétail et de carburant (bioéthanol) pour les voitures, mais pas pour l’alimentation humaine. La faim dans le monde n’est pas un problème agronomique, c’est un problème politique.

D'un côté, on nous promet des variétés enrichies d'un point de vue nutritionnel. De l’autre, on constate justement un appauvrissement en nutriments de nos fruits, nos légumes et nos céréales. Qu'en est-il ?

Les mutations génétiques sont toujours introduites dans des variétés dites élites, c’est-à-dire à haut rendement (à condition de pulvérisations chimiques et de bonnes irrigations). Et ces variétés élites de soja ou de maïs sont de plus en plus faibles d’un point de vue nutritionnel puisqu’on a concentré la recherche en sélection sur la résistance aux parasites et le rendement. Donc les OGM sont des espèces dégénérées d’un point de vue nutritionnel. On pourrait bien sûr imaginer une réorientation des recherches, mais la question se pose : doit-on dépenser beaucoup d’argent pour des OGM enrichis en nutriments, ou bien développer une agriculture qui a fait ses preuves comme l’agriculture paysanne ? Faut-il donner davantage de pouvoir aux paysans sur leurs semences ou aller vers une technicité croissante et une privatisation qui les éloignent de la semence et les rendent plus dépendants des semenciers ?

Les OGM peuvent-ils réduire l’utilisation des insecticides ou nous aider à faire face au changement climatique ?

L’OGM est dans la continuité du paradigme chimique : avant on pulvérisait un produit chimique sur les champs de maïs pour les protéger des pyrales [un ravageur du maïs, NDLR], et maintenant on fait produire la molécule par la plante elle-même. Sur les OGM connus, la nature a toujours trouvé des subterfuges pour contourner nos stratégies chimiques ou génétiques. Le nombre de mauvaises herbes devenues résistantes au glyphosate par exemple ne cesse de grandir. On est ainsi obligé de créer des OGM qui tolèrent plus d’herbicides et de pulvériser de plus en plus de pesticides… Bref, on est dans une fuite en avant technologique parce que la nature mute et s’adapte. Cette vision-là ne permet pas de créer un système agricole résilient, alors qu’on sait qu’on peut faire de l’agriculture sans pesticide chimique. Il va falloir effectivement se poser sérieusement la question de la résilience du système agricole dans le contexte du changement climatique. Les OGM constituent-ils un outil pertinent dans ce contexte ? Avant d’évaluer leur impact sanitaire, environnemental et socio-économique ou leur innocuité, il faut se poser la question de l’intérêt de leur introduction dans l’agrosystème : jusqu’à présent, ils l’ont toujours déséquilibré.

Pour en savoir plus sur Inf’OGM : https://www.infogm.org/

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