Lucile de la Reberdiere
Bernadette de Gasquet. Les différences s’effacent, mais ce sont surtout les femmes qui font davantage de choses comme les hommes, plus que l’inverse. Tant que la grossesse passera par le corps de la femme, celle-ci subira énormément de pressions. L’enjeu de la société, c’est l’enfant à naître. La femme se retrouve au cœur d’influences qui évoluent selon la définition que les époques donnent d’une « bonne mère ».
Certes, les hommes et les femmes sont égaux en droit ; mais la grossesse est une spécificité biologique qui confère un certain pouvoir. N’est-ce pas en raison de ce pouvoir qu’on a, de tout temps, contraint la femme dans son rôle de mère ?
C’est l’ère de la preuve. Aujourd’hui, les professionnels de santé ne peuvent rien affirmer sans se référer à des études et des statistiques. Je raconte souvent que lorsque j’ai commencé la médecine, j’utilisais cinq médicaments, tous interdits à présent. La femme enceinte se trouve inondée d’informations, mais on lui demande de rester zen parce que le bébé peut ressentir le stress… C’est la double-peine. Sans compter les avis sans fondement qui circulent sur Internet.
C’est la pire des positions pour accoucher, instaurée sous prétexte que la gravité va faire descendre le bébé. C’est un peu limité, comme raisonnement. Quand je regarde l’histoire de l’obstétrique à travers le monde, plusieurs positions sont décrites, sauf celle-ci. Les Japonaises accouchent accroupies, suspendues ou à quatre pattes. Dans le règne animal, les mères bougent pendant le travail, elles ne sont pas statiques. Et, en même temps, dire que cette position c’est pour le confort du médecin, c’est un lieu commun exaspérant, car les choses ne sont pas aussi binaires. En réalité, le problème, c’est l’apprentissage. Obstétriciens et sages-femmes apprennent leur métier avec des mannequins électroniques coupés de la physiologie d’une femme qui bouge et qui respire. Je suis étonnée que les mouvements de lutte contre les violences obstétricales n’incluent pas davantage le besoin de rester libre de bouger pendant l’accouchement.
Là, j’incrimine la communication de gens qui s’expriment à partir d’un mauvais vécu personnel. Il est bon de redonner à la mère et au couple de la confiance. Mais la péridurale a tout de même été le plus grand progrès de l’accouchement sans douleur. Elle a permis aux femmes de ne plus avoir la sensation d’aller à l’abattoir au moment de mettre au monde leur bébé. Elle les a aidées à s’écouter, à se connaître, et aujourd’hui on voudrait qu’elle soit synonyme d’échec ? Les modalités sont critiquables, mais l’intention de départ était vraiment très intéressante. On ne peut pas changer de version comme on change de gourou.
Si elle demande à sa mère et à sa sœur, elle risque d’être encore frustrée ! (Rires) Je pense que les sages-femmes sont des midwives, des « femmes du milieu », qui pourraient avoir le rôle d’accompagnement le moins biaisé. Mais elles regrettent elles-mêmes de ne pas pouvoir l’exercer pleinement à cause de tâches administratives et d’un métier devenu trop technique. Je pense que les futures mamans doivent aussi accepter que dans une grossesse, rien n’est joué d’avance. La nature est bien faite, mais elle n’est pas parfaite. Un accouchement c’est complexe, et quand je vois l’accroissement du nombre d’accouchements à domicile, je m’interroge. En France, on peut choisir sa maternité. Toutes ont droit à la péridurale si elles la demandent, et il est possible de bénéficier d’une césarienne dans de bonnes conditions sans que ce soit facturé comme dans certains pays. Nous sommes privilégiés. C’est un confort précieux pour que la mère puisse trouver sa bulle.
Son taux d’utilisation est de 20 % actuellement en France. Il était de 90 % à la fin des années 1980. L’OMS recommande de ne pas faire plus de 30 %, donc les choses ne sont plus aussi systématiques. Une réduction justifiée, car on s’est rendu compte que ce n’était pas nécessaire d’en faire autant. Mais attention, encore, aux intentions : parce que l’épisiotomie a été accusée de mutiler le corps des femmes, de nombreux médecins ont décidé de ne plus les pratiquer afin de ne pas perdre en réputation. Pour être bien vu, il ne faut pas faire d’épisio ! C’est effarant, car parfois une mauvaise préparation du périnée peut causer plus de dégâts qu’une épisiotomie.
Il n’y a pas si longtemps encore, toutes les femmes sortaient de la maternité avec une prescription pour des séances de rééducation. Maintenant, il faut justifier de troubles fonctionnels comme des problèmes d’incontinence pour qu’une femme puisse se voir remettre une ordonnance, sur demande. Pour des raisons principalement économiques, on a décrété que la femme qui va bien n’a pas besoin de rééducation du périnée. J’étais au Collège des sages-femmes récemment. Elles sont très inquiètes, car cela représentait un gros morceau de leur travail, dont les marchands du temple profitent… (à ce propos, étymologiquement, périnée vient de peri naos, « autour du temple »…). On vend aujourd’hui des objets connectés à 350 euros pour la rééducation, quand le budget pour l’arrivée de l’enfant atteint déjà des sommets et qu’un simple bilan préventif en début de grossesse permet d’évaluer la tonicité du périnée et d’orienter une stratégie de préparation à l’accouchement.
Je suis choquée par la responsabilité que l’on fait porter à la mère sur tout l’aspect sanitaire : attention aux couches, aux produits, à la qualité de l’eau, du sèche-linge… Ce n’est pas à elle de décider de cela, c’est aux pouvoirs publics. Tout a changé, mais rien n’a changé. Ce sont toujours les femmes qui encaissent. Il y a beaucoup de violence là-dedans. Et le pire, c’est l’agression des femmes entre elles sur les réseaux sociaux, pour critiquer les choix des unes et des autres.
Il y a eu plein d’erreurs depuis l’origine des temps et il y en aura encore, mais les bébés ne vont pas si mal. Tout est relatif. Ce qui compte, c’est que la mère fasse avec ses propres ressources, avec ce qu’elle sent intuitivement de bon pour son enfant, mais pas contre elle. Si elle fait les choses contre elle, ça ne sera jamais juste. Si elle allaite pour être une bonne mère, ça ne va pas marcher. Et l’on n’est pas obligé de rester seule avec ses soucis. Combien de mamans ont trouvé des solutions de bon sens et d’amour auprès de la nounou, qui n’est pas archidiplômée, mais qui en a vu d’autres ? Une mère seule est vulnérable ; le réseau de soutien et des informations claires, c’est la base. Ensuite, on s’éduque en même temps que son bébé. Et, à l’arrivée d’un deuxième, tout est encore différent !
À propos de Bernadette de Gasquet : professeur de yoga devenue médecin à 46 ans après trois enfants, le Dr Bernadette de Gasquet redessine le paysage de la maternité et du training sportif depuis les années 1980. Avec sa technique inédite de protection du périnée, elle a formé des professionnels de la santé et du sport en Europe, au Canada et en Asie. Elle est aussi l’auteure de nombreux ouvrages.
En savoir plus :