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"Face aux maladies chroniques, les polythérapies sont plus adaptées", Pr. Grégory Ninot

Les médecines douces sont de plus en plus plébiscitées, mais peuvent-elles répondre sérieusement à nos soucis de santé ? Le professeur Grégory Ninot et son équipe universitaire montpelliéraine développent des outils facilitant la synthèse des études qui évaluent les bénéfices et les risques des Interventions non-médicamenteuses, ainsi que leur véritable efficacité.

Nathalie Rigoulet

Alternative Santé. Pourriez-vous nous expliquer le choix du nom Interventions non-médicamenteuses (INM) ?

Pr Grégory Ninot. La Haute Autorité de Santé (HAS) a publié un rapport en 2011 dans lequel elle appelait au « développement de la prescription de thérapeutiques non-médicamenteuses validées ». En 2013, l’Académie de médecine a réclamé une utilisation plus pertinente des thérapies complémentaires. Les Anglo-saxons parlent de thérapies non-pharmacologiques, ce qui me semble plus pertinent. Mais, après un sondage mené par notre équipe, le terme « non-médicamenteux » parlait plus aux Français. Et « intervention » exprime la contribution d’un humain selon un protocole précis. Ainsi, chaque intervention non-médicamenteuse existe par le biais d’un homme ou d’une femme (psychothérapie, acupuncture, programme de sport adapté, massages, etc.).

Vous êtes enseignant et chercheur, pourquoi vous attacher à évaluer des médecines alternatives ?

La France a concentré ses efforts sur la recherche fondamentale, autrement dit la science des problèmes. Or, tandis que le chercheur se focalise sur l’action d’un neuromédiateur dans une zone du cerveau de la souris, il oublie la globalité et les interactions avec l’environnement d’une maladie comme la dépression. Un mouvement scientifique récent, en particulier en France, veut rétablir l’équilibre entre recherche fondamentale et appliquée. Cette recherche pragmatique, appelée « interventionnelle », prend de plus en plus d’ampleur en France. Étudier les solutions est devenu tout aussi important que la recherche sur les problèmes.

Vous avez créé un laboratoire en ce sens. Quelles en sont les motivations ? Les buts ?

J’ai soutenu une thèse, en 1998, qui comparait les bénéfices sur la santé de différents programmes d’activité physique. L’université de Montpellier m’a encouragé à créer des équipes de recherche puis des laboratoires s’intéressant à l’évaluation des INM. En parallèle, nous avons lancé avec des collègues, en 2011, la plateforme collaborative d’évaluation des programmes de prévention et de soins de support (plateforme universitaire CEPS). Elle est consacrée aux méthodologies d’évaluation des pratiques non-médicamenteuses. Il était temps de faire converger des modèles de validation, d’évaluation et de surveillance qui profiteraient à la fois aux praticiens, aux usagers, aux chercheurs et aux formateurs.

Cette plateforme CEPS est un excellent outil pour les professionnels, mais que peut-elle apporter aux usagers ?

Elle développe des outils qui facilitent l’identification des études rigoureuses évaluant les INM. La plateforme organise le congrès annuel iCEPS. Cet évènement accueille chercheurs, médecins, praticiens, associations et fédérations de professionnels des médecines douces. Des sessions grand public et un salon sont proposés. Ces rencontres permettent de partager les preuves d’efficacité et d’innocuité des interventions non-médicamenteuses, d’échanger sur l’impact sociétal de ces solutions de prévention et de soin, de discuter des méthodes de validation et de surveillance et de mieux comprendre leurs mécanismes d’action. La grande nouveauté, cette année, a été la création d’un moteur de recherche appelé Motrial : il est ouvert à tout le monde et gratuit.

Est-ce que toutes les pratiques existantes trouveront place dans la classification des interventions non-médicamenteuses proposée par votre plateforme CEPS ?

Notre plateforme liste les méthodes non-pharmacologiques ayant un impact sur la santé et qui ont fait l’objet d’études interventionnelles ou cliniques. Elle exclut donc les pratiques qui, pour l’heure, n’en ont pas fait l’objet. On souhaite tester des solutions en recherche clinique et déterminer celles qui fonctionnent le mieux sur telle ou telle pathologie. Par exemple, la plateforme recherche les études qui ont évalué les méthodes d’ostéopathie sur des lombalgies.

L’idée est-elle d’inciter les médecins à préconiser des interventions non-médicamenteuses validées pour seconder ou remplacer les médicaments ?

En 2018, nous avons créé le Collège universitaire interdisciplinaire de médecine intégrative et thérapies complémentaires (Cumic). Il va jouer un rôle déterminant dans la formation des praticiens, dans la diffusion des bonnes pratiques et dans l’amélioration de la qualité des études évaluant les médecines douces qui viennent en complément, en amont ou en substitution des traitements biomédicaux autorisés par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Ce Collège va demander à ce que chaque faculté de médecine française délivre un volume de cours minimal sur les INM aux futurs médecins. Il recensera toutes les formations continues, comme les diplômes universitaires (DU).

Couvrir l’ensemble des INM étant impossible, n’y a-t-il pas un risque de laisser de côté nombre de thérapeutes compétents ?

Certains praticiens refusent toute évaluation scientifique, prétextant que cela est impossible, que seul l’avis des patients compte… S’il est plus difficile d’évaluer ces pratiques que de simples médicaments à avaler, il existe cependant des méthodes fiables d’évaluation et elles sont en perpétuelle évolution. Par conséquent, je considère que des solutions de santé qui ne sont pas évaluées par la science doivent être nommées médecines parallèles et ne pas faire l’objet de remboursement.

Que pensez-vous de l’attaque de certains médecins contre les médecines alternatives ?

J’ai été choqué par la virulence des propos, si méprisants, alors qu’il y a tant de patients satisfaits, de praticiens reconnus et de chercheurs travaillant avec le plus grand sérieux ! Mais, après réflexion, je les remercie. En faisant de tels amalgames, en mettant dans le même sac toutes les pratiques, ils ont réveillé l’opinion et sensibilisé les autorités de santé à des pratiques ayant une importance considérable.

Comment expliquez-vous l’expansion des INM ?

En premier lieu, une consultation de médecine ne dure plus que douze minutes en moyenne : la qualité de relation disparaît, les gens ne se sentent pas ou plus écoutés. Une deuxième raison est liée aux découvertes récentes sur le génome : ce dernier n’est pas préprogrammé, tout n’est pas écrit dès la naissance. Les travaux sur l’épigénétique montrent clairement que nous sommes aussi maîtres de notre santé. Plus l’on avance en âge, et plus notre mode de vie et nos comportements sont essentiels pour notre santé. Une troisième raison tient au fait que la médecine ne guérit pas toujours... Avec le vieillissement de la population, les maladies chroniques sont exponentielles. Les réponses thérapeutiques à ces maladies sont plurielles, les polythérapies s’avèrent les plus adaptées et la prévention, essentielle. La solution réside dans une prise en charge holistique du patient.

Voyez-vous un réel changement de mentalité, une ouverture des médecins aux INM ?

Oui. En France, cela bouge depuis 2010 ; au Japon, aux États-Unis et en Allemagne, depuis les années 2000. Les jeunes médecins comprennent que face à des problèmes complexes, les solutions doivent être combinées. Qui aurait cru, il y a dix ans, que certains d’entre eux viendraient dans notre laboratoire pour faire des thèses sur nos sujets !

Vous êtes en lien avec les mutuelles et l’Assurance maladie. Est-ce que certaines interventions non-médicamenteuses seront un jour remboursées ?

En France, des établissements prennent déjà en charge ces pratiques. C’est le cas de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, avec des méthodes de médecine traditionnelle chinoise. L’Assurance maladie expérimente en ce moment le remboursement de psychothérapies dans trois départements français. Et des mutuelles remboursent des séances d’ostéopathie, d’autres aident les patients traités pour un cancer. Elles sont en train de sortir d’une simple logique marketing d’augmentation de leur nombre d’adhérents pour aller dans celle d’un remboursement d’INM validée par la science.

Quand aura lieu le prochain congrès iCEPS ?

Pr G. N. Du 28 au 30 mars 2019 à Montpellier, puis à Toulouse en mars 2020 et à Paris en mars 2021. En 2019, nous recevrons notamment le plus grand chercheur en ce domaine, le professeur Edzard Ernst de l’université d’Exeter, au Royaume-Uni. Il a consacré sa vie à l’évaluation des médecines douces.

 

À propos du Pr Grégory Niot :

Professeur à l’université de Montpellier depuis 2008, Grégory Ninot est également chargé de la valorisation scientifique des soins de support à l’Institut du cancer de Montpellier (ICM). Parallèlement à ses travaux de recherche sur les modèles intégrés – qui expliquent l’ajustement psychologique et comportemental à une maladie chronique –, il mène des études cliniques sur l’évaluation des bénéfices et des risques et le rapport coût/efficacité des INM. Il dirige actuellement la plateforme CEPS pour la recherche interventionnelle.

 

Aller plus loin :

Le Pr Grégory Ninot est également l'auteur de nombreux articles publiés dans des ouvrages et revues scientifiques internationales. Son livre Démontrer l'efficacité des interventions non-médicamenteuses est paru en 2013 aux éd. des Presses universitaires de Méditéranée. Il présente une mine d'informations sur les INM, tout comme son blog www.blogensante.fr et les sites www.plateforme-ceps.fr et www.motrial.fr.

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