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Grossesse. Loin des mythes, les vrais conseils

Dans son best-seller Debunking the Bump, Daphne Adler, mathématicienne formée à Harvard, s’attaque avec vigueur aux idées reçues sur la grossesse qui mettent à rude épreuve les nerfs des femmes enceintes. Alcool, sport, sushis, contacts avec un chat… Les recommandations de cette mère de trois enfants détonnent. Elles sont pourtant fondées scientifiquement.

Sabrina Debusquat

Selon vous, nous embêtons les femmes enceintes avec des conseils infondés, et passons en plus à côté des vrais dangers. Pourquoi ?

Les humains ne sont pas des statisticiens-nés. Ainsi, des faits effrayants mais ayant statistiquement peu de chance de se produire nous marquent bien plus que des informations plus rassurantes, mais ennuyeuses. Nous avons tendance à nous concentrer sur les anecdotes, et nous pensons très rarement à vérifier qu’elles représentent bien des vérités sous-jacentes. Mon livre tente de combler cette lacune. J’ai réalisé un fastidieux travail de compilation de données pour tirer des lignes claires, et que les femmes ne déterminent pas ce qui est important en se fondant uniquement sur leur expérience. J’ai moi-même reçu des conseils et remarques diverses lorsque j’étais enceinte, comme ce collègue qui s’était permis de me gronder avec vigueur car j’avais mangé du parmesan. C’est d’ailleurs cet incident qui m’a poussé à faire des recherches puis à écrire ce livre. Car malheureusement, les médecins ne sont pas toujours bien informés : par exemple, bien que l’American College of Obstetricians and Gynecologists recommande d’avertir les femmes enceintes sur le cytomégalovirus, seuls 44 % des médecins le font. Une autre enquête a révélé que les femmes ne sont que 22 % à connaître l’existence du cytomégalovirus, et que presque aucune ne sait comment il se propage. Autre exemple : un quart des professionnels de la santé conseillent aux femmes enceintes d’éviter le contact avec les chats pour limiter les risques de toxoplasmose, alors que consommer de la viande insuffisamment cuite est un facteur de risque bien plus grand et pourtant largement ignoré.

Au cours de votre enquête, quelle information vous a le plus choquée ou surprise ?

Lorsque j’ai décidé d’écrire mon livre, j’avais lu une pile de livres sur la grossesse et questionné mon obstétricien, mais je n’avais jamais entendu parler du cytomégalovirus. Cette infection cause pourtant, à long terme, plus de problèmes et de décès d’enfants que la trisomie 21 et le syndrome d’alcoolisme fœtal réunis.

Votre livre est un ovni parmi les livres de grossesse. Comment est-il perçu par le milieu médical ?

La plupart des médecins sont sceptiques vis-à-vis du concept, mais ils changent d’avis après avoir lu mon livre. Mes recommandations vont à contre-courant de ce que l’on entend souvent, mais chacune des affirmations est appuyée par une ou plusieurs citations scientifiques solides. Difficile, alors, d’être en désaccord avec mes conclusions… D’ailleurs, aux États-Unis et au Royaume-Uni, un grand nombre de cliniques spécialisées en fertilité exposent un exemplaire de mon livre car elles estiment qu’il s’agit d’une ressource à mettre à la disposition des femmes en début de grossesse.

Combien de temps avez-vous enquêté avant d’écrire ?

J’ai passé plus de trois ans à rechercher des sujets pour ce livre. En outre, pour chaque citation qu’il contient, j’ai consulté cinq à dix études ou articles scientifiques supplémentaires pour relayer l’information la plus solide résumant ou illustrant les connaissances et avis dominants sur la question.

Quelles sont les trois injonctions les plus absurdes faites aux femmes durant leur grossesse ?

La première concerne la nature « dangereuse » des sushis, que les femmes enceintes fuient donc. Pourtant, ce tabou est complètement à côté de la plaque : manger du poisson cru n’est pas plus dangereux que de manger une salade verte, et le poisson gras est une source fantastique d’oméga-3 qui stimule le cerveau et dont il serait dommage de se priver. La seconde n’est pas une injonction particulière, mais une vision générale des risques alimentaires erronée et disproportionnée. Les gens sont obsédés par ce que les femmes enceintes devraient ou non manger, alors qu’en fait, les maladies d’origine alimentaire sont bien moins dangereuses que des activités quotidiennes comme monter en voiture. Enfin, la troisième touche à l’activité physique. De nombreuses personnes s’inquiètent encore aujourd’hui des risques liés au sport durant la grossesse, alors que faire de l’exercice a au contraire beaucoup d’effets bénéfiques. La plupart des mythes en la matière ne sont qu’hypothétiques, purement théoriques ou extrapolés. Par exemple, aucun argument solide ne vient étoffer la thèse selon laquelle la course à pied durant la grossesse augmenterait le risque de fausse couche. La majorité des exercices courants sont ainsi sans aucun danger durant la grossesse.

A contrario, quels sont les facteurs de risque avérés pour une femme enceinte ?

Fumer, retarder une grossesse (à partir de 35 ans, le risque s’accélère) et abuser de l’alcool sont les principaux facteurs nuisant au bon déroulement d’une grossesse. À eux seuls, ils surpassent largement les autres risques.

Votre but est-il de donner aux femmes les arguments pour pouvoir dire stop aux pressions des médecins et des proches ?

Précisément. Les gens qui nous entourent ont généralement les meilleures intentions du monde et sont de bonne foi, ils veulent s’assurer que nous mettions au monde un bébé en parfaite santé. Mais ces personnes bienveillantes sont rarement bien informées lorsqu’il s’agit de grossesse. Et, bien que la sagesse populaire ait souvent tort en la matière, elle reste omniprésente. Elle engendre un stress totalement contre-productif, voire nocif. Involontairement, nos amis et notre famille peuvent nous faire plus de mal que de bien. J’espère donc que ce livre donnera aux femmes les moyens de sentir plus confiantes et en sécurité, de prendre leurs propres décisions de manière éclairée et d’ignorer ou de réfuter les légendes et affirmations sans fondement qu’on leur jette à la figure à longueur de journée.

Diriez-vous que les parents doivent apprendre à laisser une plus grande part à leur bon sens, leur instinct, leurs intuitions ?

Je crois fermement à l’importance d’écouter son instinct et son bon sens mais, en tant qu’humains, nos intuitions ne sont fiables que lorsque nous avons une expérience approfondie du domaine en question (Malcolm Gladwell fournit une description éloquente de ce phénomène dans son livre Blink). Ainsi, un médecin qui a vu des milliers de femmes enceintes aura un instinct affûté pour déterminer si tout va bien lorsqu’il examine une patiente. La plupart des femmes elles-mêmes ne seront enceintes qu’une poignée de fois dans leur vie, et ignorent que d’innombrables facteurs peuvent influencer l’issue de la grossesse : il leur est donc difficile d’avoir une intuition précise sur ce qui fonctionne bien ou non. Enfin, les recommandations médicales peuvent changer, cela ne veut pas dire que nous ne devons pas utiliser les meilleures informations scientifiques dont nous disposons sur le moment.

Dans quelle mesure les femmes qui vous lisent peuvent-elles avoir confiance en ce que vous avancez ?

Les lecteurs peuvent avoir confiance car mes conclusions sont cohérentes avec les connaissances médicales actuelles. Je me suis beaucoup inspirée des publications d’organismes comme l’American College of Obstetricians and Gynecologists ou l’Institute of Medicine pour élaborer mes recommandations. J’ai également payé pour avoir accès au site Up-to-Date, une base de données en ligne conçue pour les médecins souhaitant se tenir au courant des derniers développements médicaux. Je me suis donc assurée que mes recommandations se fondaient sur les sources que les médecins eux-mêmes consultent. Enfin, j’ai fait confiance à des amis diplômés en médecine qui ont lu le livre pour s’assurer que je n’avais rien manqué d’important. Ceci dit, je n’ai intentionnellement pas approfondi les sujets médicaux dans mon livre, car je suis partie du principe que les femmes sont suivies par des professionnels des soins prénataux standards et qu’elles consulteraient leur médecin en cas de symptômes inhabituels inquiétants. Mon livre vient en complément. Il aborde ce qui se trouve hors du domaine médical, ce qui ne fait pas partie de l’expertise habituelle des médecins. Par exemple, ces derniers ne sont pas des experts de la prévalence des bactéries dans la chaîne alimentaire, des contaminants de l’environnement ou des risques liés à la conduite automobile.

Désormais, quand vous discutez avec une femme enceinte, quel message vous paraît le plus important à lui faire passer ?

La grossesse est un moment excitant et unique dans la vie, et les femmes devraient pouvoir en faire l’expérience sans stress inutile causé par la désinformation. En fin de compte, mes recherches m’ont convaincu que la plupart des grossesses se déroulent bien et que lorsque quelque chose ne va pas, il n’y a généralement pas grand-chose à faire pour l’éviter. Ainsi, plutôt que de suivre des règles arbitraires, les femmes devraient se détendre, profiter de l’expérience (dans la mesure où leurs chevilles gonflées le permettent) et attendre avec impatience l’arrivée de leur petit !

Autres informations à retenir de l'ouvrage de Daphne Adler :

• Il est très improbable d’attraper la toxoplasmose en faisant la litière de votre chat. Vous avez dix fois plus de risques de l’attraper en mangeant de la viande crue ou mal cuite.

• L’immense majorité des études concluent à l’inocuité de la caféine sur le fœtus, même à hautes doses.

•  Hormis les sports avec un fort risque de chute ou de traumatisme abdominal (basket, équitation, etc.), l’activité physique comporte plus de bénéfices que de risques chez la femme enceinte. Le sport, notamment la course à pied, n’augmente pas les risques de fausse couche.

• « Un verre de vin par jour ne pose aucun problème » chez la femme enceinte et l’enfant à naître : c’est ce qu’a annoncé l’Institut national pour l’excellence en soins de santé du Royaume-Uni en 2007, et ce que démontre la plupart des études sur la question. Le Département de la santé londonien a même reconnu que sa politique de tolérance zéro en la matière ne se fondait pas sur des preuves scientifiques mais visait à « envoyer un signal fort aux femmes buvant au-delà des limites conseillées ».

• 50 % des mères et 25 % des pères pensent que faire l’amour peut nuire à leur futur enfant, mais une méta-analyse regroupant 59 études scientifiques conclut qu’il n’en est rien.

• La consommation d’eau et de légumes (notamment à feuilles) est la principale source d’exposition aux nitrites et aux nitrates, bien avant celle de viandes ou charcuterie.

• La plupart des compléments alimentaires pour femmes enceintes contiennent de l’acide folique et des vitamines A ou E (alors que la majorité des femmes en ont un apport quotidien suffisant) et omettent l’iodine et le calcium, deux nutriments dont la carence concerne de nombreuses femmes.

 

Aller plus loin :

Debunking the Bump

 


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