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"En exerçant sa vision, on peut se passer de lunettes", Dr Eva Lothar

Pour le Dr Eva Lothar, formatrice et enseignante de la méthode Bates, il est possible, en effectuant régulièrement des exercices oculaires en conscience, d’améliorer naturellement sa vue, voire de se passer de lunettes. Adieu myopie, presbytie, astigmatisme, hypermétropie.

Isabelle Fontaine

Dans votre livre, vous présentez la méthode Bates qui permet d’améliorer naturellement sa vue. Quelle est la genèse de cette approche ?

Eva Lothar Le Dr William Bates a développé dans les années 1920 la méthode qui porte son nom, parfois aussi appelée en France yoga des yeux. Ophtalmologiste dans deux hôpitaux new-yorkais, il a un jour l’intuition que des dysfonctionnements de la vue peuvent trouver des solutions autres qu’un appareillage optique ou une intervention chirurgicale, notamment en pratiquant des séries d’exercices et en acquérant des habitudes oculaires spécifiques. Il met au point les prémices de sa méthode avec un groupe test de jeunes médecins futurs ophtalmologistes, eux-mêmes atteints de myopie, parvenant à corriger leur condition. Le Dr Bates présente officiellement les résultats de ses essais lors d’une réunion professionnelle. Scandale : dans l’esprit de ces médecins de la vue, la myopie – affection congénitale et constitutionnelle – ne peut se guérir. Il lui est demandé de renoncer à ses postes hospitaliers. Dans son cabinet de consultation et dans des écoles, il continue d’élaborer et de peaufiner son approche. La méthode, transmise à ses successeurs, fait son chemin.

D’où vient cette pratique et quels en sont les principes ?

L’origine de la méthode du Dr Bates demeure un mystère. On retrouve une inspiration issue des techniques d’attention et de conscience de l’Orient, bien qu’il n’ait jamais beaucoup voyagé. Une chose est sûre, en parallèle à ses études de médecine, Bates était un chercheur. Il a, par exemple, découvert certaines des propriétés de l’adrénaline. Insatisfait des théories en cours sur le mécanisme de l’accommodation de l’œil, il a orienté ses réflexions sur le cristallin, structure centrale fonctionnant comme une loupe, et sur son interaction avec la musculature externe de l’œil. Il a mené une série d’expériences sur des animaux en ligaturant, sectionnant, anesthésiant certains de ces muscles oculomoteurs. Il a observé qu’en ligaturant les muscles extrinsèques des yeux de poissons, il créait instantanément une opacification du cristallin, c’est-à-dire une cataracte, et qu’en ôtant la ligature, le cristallin récupérait sa fonction initiale. Bates a également observé que la contraction ou la détente des muscles agissait sur la courbure du cristallin. Ces observations l’ont amené à formuler l’hypothèse que l’accodomodation, cette fonction de la vue essentielle, par exemple, pour voir de près un petit objet comme un caractère d’imprimerie, n’était pas le propre du cristallin lui-même, mais en lien avec la musculature extrinsèque de l’œil.

Quel a été l’impact de cette hypothèse sur sa méthode ?

Les répercussions furent importantes. Bates est arrivé à la conclusion qu’en sollicitant les muscles oculomoteurs, on pouvait favoriser la vision. C’est ainsi que la notion de mouvement des yeux, qui ont une forme de bille et sont donc faits pour rouler, est au cœur de la méthode Bates. Pour une bonne vision, il faut que l’œil soit constamment en mouvement pour envoyer au cerveau les informations lui permettant d’analyser l’objet vu. Par ailleurs, l’œil a besoin de regarder au loin pour se reposer. Or, par notre mode de vie, nous sollicitons majoritairement une vision de près et nous avons tendance à fixer les objets, au risque de provoquer une tension néfaste des muscles du système oculaire. Paradoxalement, c’est le mouvement qui repose l’œil, en levant les tensions générées par une vision statique. Toute rigidification du regard, qu’on trouve dans la fixité, est défavorable à la vision. Les deux autres piliers de l’approche Bates sont donc la détente et l’attention, c’est-à-dire apprendre à devenir attentif à ce qui est vu et comment, en modifiant certaines habitudes nocives et en en intégrant de nouvelles.

Quels changements d’habitude mettre en place pour encourager ce mouvement de l’œil ?

Il existe des clés que chacun peut intégrer dans son quotidien. La première est de favoriser le cillement, qui a plusieurs effets positifs sur la vision. Il détend d’abord les yeux, en procurant un micro instant de repos aux yeux brièvement plongés dans l’obscurité à chaque fermeture de la paupière. Le cillement agit également sur la glande lacrymale en occasionnant la production de larmes, ce qui lubrifie la cornée et la conjonctive. En outre, le cillement donne à ce qui est vu l’apparence de mouvement, toutes activités favorables à la vision. Au début on peut ciller volontairement plus que d’habitude pour prendre conscience du mécanisme qui ensuite se régule tout seul. Une autre clé est le souffle. Il s’agit de respirer profondément en dirigeant son ressenti vers les yeux. Il ne faut pas oublier que l’œil est lié au cerveau embryologiquement et que l’un et l’autre, en particulier la rétine, sont de gros consommateurs d’oxygène. Cette respiration consciente oculaire favorise donc la détente de l’œil et son bon fonctionnement. On peut ensuite pratiquer le pinceau magique. Il s’agit d’une technique consistant globalement à détourer du regard des objets en imaginant que notre nez se prolonge par un pinceau au bout duquel on voit net. Ce simple exercice, très important dans la méthode, permet de travailler la vision centrale tout en réorganisant en permanence la périphérie. Le bâillement, lui aussi, favorise l’oxygénation et la détente de la musculature oculaire – à accepter et susciter volontairement en cours de journée. Il induit un massage indirect de l’œil par une mobilisation des muscles de l’orbiculaire du pourtour des yeux. D’autres activités développent la conscience de la vision centrale et de la vision périphérique. J’ajouterai à ces clés, pour ceux qui travaillent devant un écran, l’habitude de lever régulièrement les yeux et de reposer le regard en pratiquant, par exemple, le palming, qui consiste à poser ses paumes devant ses paupières fermées, le temps de quelques respirations profondes. À renouveler aussi fréquemment que possible.

Peut-on vraiment se passer de lunettes avec des exercices aussi simples, y compris les personnes d’un certain âge ?

Bien sûr ! De très nombreuses personnes ayant bénéficié de la méthode ont pu améliorer des problèmes de myopie, de presbytie, d’astigmatisme ou d’hypermétropie. Mais la méthode est surtout là pour permettre aux gens de changer d’habitudes et d’abandonner celles qui sont nocives pour leur vue. Il faut être motivé et discipliné pour intégrer à son quotidien et exercer régulièrement les démarches de la méthode Bates, retirer ses lunettes de temps en temps, par exemple au moment du petit déjeuner, afin d’habituer ses yeux à l’indépendance. Certes, il ne s’agit pas de récupérer 10/10 à chaque œil, mais de modifier notre attitude vis-à-vis de notre champ visuel. Cependant, plus on s’y prend tôt, pour les enfants par exemple, plus la méthode Bates aura des effets probants. Elle peut se pratiquer seule, mais il est souhaitable de se faire accompagner par un praticien pour faciliter l’apprentissage.

Comment vous êtes-vous intéressée à cette démarche ?

Je pratique cette méthode et je l’enseigne en France depuis une trentaine d’années. Je suis allée me former aux États-Unis après avoir lu le livre L’art de voir, d’Aldous Huxley, romancier américain ayant récupéré d’une presque cécité grâce à la méthode Bates. À l’époque, j’avais moi-même des problèmes de presbytie qui s’ajoutaient à un astigmatisme, pour lequel j’avais dû porter un temps des lunettes puis des lentilles de correction. Mais j’avais assez rapidement abandonné ces supports, car ils me gênaient. La méthode Bates m’a permis jusqu’à aujourd’hui de me passer totalement de lunettes dans toutes mes activités : conduire, lire, travailler sur écran… Et ma vue se porte au mieux. Un bilan ophtalmologique récent me donne sept dixièmes à chaque œil. La méthode Bates incite à une prise de conscience individuelle et à une attitude de liberté vis-à-vis du diktat des lunettes inéluctables pour corriger les dysfonctionnements de la vue. Il s’agit de se donner la permission et les moyens de faire des choses dont on ne se serait pas cru un jour capable. Au-delà, la méthode Bates nous invite à adopter une hygiène de vie en pratiquant une activité physique régulière et une alimentation la plus saine et naturelle possible. Nos yeux sont solidaires de tout notre organisme, physique, mental et spirituel. Ils font partie d’un tout et doivent être considérés ainsi.

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