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Jeanne Deumier "Nous sommes les acteurs de notre guérison"

À 18 ans, Jeanne Deumier est diagnostiquée Crohn. Suivent deux ans de traitement, effets secondaires et symptômes toujours plus violents à la clé. Écoutant son instinct, elle décide de changer son mode d’alimentation et de vie. Aujourd’hui guérie, elle raconte son parcours dans un livre.

Isabelle Fontaine

Lorsque la maladie de Crohn vous est diagnostiquée, vous êtes très jeune. Comment avez-vous réagi ?

C’est un véritable coup de massue. J’ai à peine 18 ans, je débute des études de communication, et l’avenir est devant moi. D’un coup, le tableau s’assombrit. Je découvre non seulement une maladie dont j’ignore tout, mais aussi que je ne suis pas la seule à en souffrir. Crohn touche 200 000 personnes en France. Je suis abasourdie d’apprendre que cette affection auto-immune chronique de l’intestin d’origine inconnue, mais probablement favorisée par une prédisposition génétique, est évolutive. Cela veut dire que les lésions inflammatoires de l’appareil digestif dont je souffre vont s’aggraver avec le temps, et avec elles mes symptômes. Chez moi, ce sont des nausées continues, des vomissements jusqu’à une vingtaine de fois par jour, une fatigue intense, des douleurs abdominales, des problèmes de peau. Le diagnostic est posé : je ne pourrai pas guérir. Au mieux, je connaîtrai des phases de rémission. Je vais devoir prendre des médicaments à vie, subir des examens réguliers, voire des interventions chirurgicales si ça progresse trop. Au début, ma réaction est fataliste. Je me laisse guider par les médecins. Mais, peu à peu, je relève des incohérences. Je souffre par exemple d’une perlèche, une inflammation résistante des commissures des lèvres. Le gastro-entérologue m’envoie pour ça chez un dermatologue, m’expliquant que je fais peut-être une allergie. Bien que je sois littéraire et n’aie aucune formation dans le domaine médical, je perçois que cette perlèche, qui résiste aux traitements, est en lien avec Crohn, qui peut toucher tout le tube digestif, de l’anus à la bouche. Cette prise en charge morcelée qui n’a pas de sens et les effets secondaires des médicaments m’invitent à me poser des questions et à explorer d’autres pistes.

Vous commencez alors à vous documenter, et à faire notamment un lien entre votre maladie et l’alimentation…

C’est un chemin qui a pris beaucoup de temps, ça s’est fait progressivement. Au départ, j’étais réfractaire aux méthodes alternatives. Pour moi, c’était un truc de gens perchés, tellement loin de moi, de mon milieu familial et pas du tout de mon âge ! À 18 ans, je ne pensais qu’à faire la fête, à profiter de soirées apéro où l’on engloutissait tarama rose fluo, chips goût bacon et surimi, et où l’on buvait des litres d’alcool. Me soucier de ce que je mettais dans mon ventre, et de sa qualité, ne m’effleurait même pas l’esprit… J’étais accro à la junk food, à ce qui était facile et rapide à préparer. Je fonctionnais avec tout ce qui avait baigné mon enfance : les supermarchés, la nourriture industrielle, le marketing, les publicités, les idées toutes faites comme « les céréales, ça donne de l’énergie » et les messages nutritionnels du type « les produits laitiers sont nos amis pour la vie ». Je n’avais jamais retourné un produit pour lire son étiquette… Petit à petit, j’ai commencé à faire un lien entre ce que je mangeais et les symptômes de ma maladie. Par nécessité, car je ne digérais rien de ce que j’avalais, je me suis mise à fréquenter d’autres lieux que le McDo ou les sandwicheries Paul pour la pause déjeuner. J’ai notamment découvert un fast-food sain à Paris, Exki [chaîne belge de restauration rapide haut de gamme, NDLR]. Là, j’ai pu être initiée à un autre mode d’alimentation, naturel, en lien avec les saisons, et échanger avec des gens informés et sensibilisés au lien entre santé et alimentation.

Et puis il y a eu cette rencontre avec une naturopathe…

Oui, j’y suis allée un peu comme ça, sans y croire. C’est la première à avoir fait un lien entre tous mes symptômes en les associant à un état inflammatoire. Elle m’a posé des questions dont l’apparente simplicité m’a sidérée, me demandant par exemple si je buvais suffisamment d’eau ! Je ne voyais vraiment pas le rapport… Franchement, je l’ai prise pour une folle quand je suis sortie du premier rendez-vous. Je traversais depuis deux ans une période de souffrance physique et morale, avec des symptômes de plus en plus violents sur lesquels venaient se greffer les effets secondaires de la cortisone : gonflement du visage, apparition d’un duvet sur le corps, prise de poids et état d’excitation permanent… J’ai eu au début beaucoup de mal à recevoir ses conseils nutritionnels, comme arrêter le gluten et les produits laitiers, et plus de mal encore à admettre qu’il puisse y avoir un lien entre mes problèmes émotionnels et ma maladie. J’ai aussi consulté un ostéopathe, qui m’a incitée à reprendre le sport, en particulier la danse, que j’adore. Là encore, je n’y croyais pas au début. Comment, dans mon état d’épuisement, pouvais-je pratiquer une activité physique et y trouver un quelconque bienfait ? Aujourd’hui, l’activité physique fait intimement partie de mon mode de vie, et je sais que ça contribue directement à ma santé. L’ostéopathe m’a aussi conseillé des compléments alimentaires pour soigner ma paroi intestinale et corriger mon problème d’acidité gastrique. J’ai ainsi pris du zinc, de la L-glutamine, et des enzymes censées faciliter la digestion.

À un moment clé, vous avez basculé et osé dire non au corps médical. Que s’est-il passé ?

Après les traitements à base de cortisone, qui ont atteint leur limite, j’ai dû suivre de nouveaux protocoles à base d’Imurel, un immunosuppresseur. Non seulement ces médicaments n’ont pas donné les résultats espérés, mais ils me donnaient des nausées épouvantables. Le gastro-entérologue a alors envisagé de me faire prendre des anti-TNF, des anticorps issus de la biothérapie, sous forme d’injections à faire lors d’hospitalisations régulières. Le traitement pouvait durer des mois, voire des années, avant d’avoir des effets. Surtout, il y avait une contre-indication importante : l’interdiction de s’exposer au soleil. C’est ce qui m’a fait basculer. Pour moi, vivre dehors l’été est indispensable. Sans comprendre d’où ça venait, tout d’un coup, j’ai dit « non ». Non à tout : continuer l’Imurel ou passer aux anti-TNF. J’ai alors alors demandé six mois durant lesquels j’allais faire les choses selon mon propre fonctionnement. Ce soir-là, en rentrant chez moi, j’ai attrapé une crème caramel dans mon frigo et, pour la première fois, j’ai lu l’étiquette. Je ne connaissais pas les trois quarts des ingrédients qui la composaient… J’ai alors pris la décision de savoir enfin ce que je mettais dans mon assiette et de commencer à me nourrir pour me soigner.

Quel régime avez-vous suivi ?

J’ai supprimé le gluten, ainsi que les plats préparés et tous les produits irritants en général : l’alcool, le tabac, le sucre, la caféine, le lait, les colorants, les agents de conservation… J’ai aussi réduit drastiquement ma consommation de viande. Après trois mois, les résultats ont été sans appel. Les symptômes ont complètement disparu : plus de nausée, de vomissement, de perlèche, de sang ou de glaire dans les selles, plus de fatigue, plus de problème de peau. Mes ulcérations de la paroi intestinale ont fini par complètement disparaître, comme les biopsies réalisées depuis l’ont régulièrement confirmé. Aujourd’hui, six ans après le diagnostic, je n’ai eu aucune rechute. Je m’estime guérie, et ce, même si le mot est tabou dans le milieu médical.

Pourquoi avoir écrit ce livre ?

Je voulais témoigner à travers un livre, support plus volontiers pris au sérieux qu’un énième blog… Ensuite, après la parution, j’ai eu beaucoup de demandes de personnes malades, et j’ai lancé dans la foulée mon site Internet et des ateliers de coaching destinés à tous ceux qui souffrent d’intolérances, de maux de ventre, d’eczéma, de psoriasis. J’estime qu’après huit ans de lecture, de recherche et d’expérimentation personnelle, j’ai quelque chose à transmettre. Ce livre est une aide pour comprendre le rôle clé que joue l’alimentation dans la santé. Même si les mentalités évoluent très vite, il y a encore beaucoup à faire. Ne serait-ce que du côté des gastro-entérologues, qui ne sont pas suffisamment formés à cet aspect. Durant mon parcours de traitement, aucun n’a évoqué la place cruciale de l’alimentation… Pire, parfois, les préconisations vont à l’encontre ce qu’il faudrait faire. Les conseils nutritionnels délivrés par exemple par l’AFA, l’association François Aupetit, référente pour les MICI (maladies inflammatoires de l’intestin), m’ont choquée. En cas de crise, ils conseillent par exemple de passer à un « régime sans résidus », et de consommer entre autres des produits laitiers, des pâtisseries et des sodas ! Il y a encore de fortes résistances quant à une autre voie possible que celle des traitements classiques. J’ai envie de témoigner que nous sommes tous les acteurs de notre propre guérison. Rien n’est joué d’avance. Tout est possible.

 

Aller plus loin :

Diagnostiquée Crohn, Jeanne Deumier, Flammarion, 2017.

www.jeannedeumier.com

 

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