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"Il est urgent d’agir face aux perturbateurs endocriniens", Dr Valérie Foussier

Diabète, infertilité, cancer, malformations fœtales… Endocrinologue, le Dr Valérie Foussier, endocrinologue depuis une vingtaine d’années, nous explique comment éviter les perturbateurs endocriniens, ces substances chimiques omniprésentes dans notre environnement qui interfèrent de manière inquiétante avec le système hormonal.

Isabelle Fontaine

Alternative Santé. Vous êtes médecin endocrinologue. Qu’est-ce qui vous a amenée à vous consacrer aux perturbateurs endocriniens ?

Dr Valérie Foussier : C’est la publication d’un article accablant dans Le Monde en 2016, relatant les regrettables options prises par la Commission de Bruxelles sur les perturbateurs endocriniens, qui m’a convaincue de faire ce travail de recherche. En tant qu’endocrinologue, je suis spécialiste du fonctionnement – et des dysfonctionnements – des différentes glandes à hormones que sont l’hypothalamus, l’hypophyse, la thyroïde, la parathyroïde, le pancréas, les surrénales, les ovaires et les testicules. Ce sujet m’intéresse donc au premier chef. Bien que cela n’ait pas encore pu être prouvé de manière formelle, du moins chez l’humain, les études convergent pour mettre en lumière la dangerosité pour la santé de ces substances chimiques, omniprésentes dans notre environnement – on en a répertorié près de 800 différentes ! En interférant avec notre système hormonal, les perturbateurs endocriniens sont aujourd’hui fortement soupçonnés de provoquer des cas de diabète, de cancer, de malformations et de troubles du développement du système nerveux chez le fœtus, d’infertilité, de puberté précoce, d’obésité…

Où trouve-t-on ces fameux perturbateurs endocriniens ?

On en trouve hélas partout : dans les meubles, les cosmétiques, les médicaments, le matériel informatique et médical, les jouets, les ustensiles de cuisine, l’eau du robinet et en bouteille, les détergents, les fils et câbles électriques, les denrées alimentaires, les végétaux, les emballages alimentaires en papier et en carton, les boîtes de conserve, certains composites dentaires, etc. Et même chez nos animaux de compagnie. Ces substances se transmettent en effet par différentes voies. Par voie orale, via les produits de consommation courante, par exemple. Ils passent aussi par la peau : les cosmétiques sont visés. Et nous les respirons aussi, comme lors des épandages agricoles. Rappelons d’ailleurs que le glyphosate, dont le renouvellement de l’homologation fait actuellement débat, est un perturbateur endocrinien avéré. Toutes ces substances agissent en mimant l’action hormonale ou en la bloquant, et ce en influant sur ses différents processus (synthèse, sécrétion, transport, libération, etc.).

Vous expliquez que l’effet des perturbateurs endocriniens sur l’organisme est particulièrement difficile à évaluer, car ils inversent le principe de base de la toxicologie édicté par Paracelse, à savoir que la dose fait le poison…

Les effets des perturbateurs endocriniens sont observés et dénoncés depuis les années 1970. Le sujet mobilise aujourd’hui toutes les instances sanitaires nationales et internationales, et en particulier l’Endocrine Society, société savante représentant 18 000 chercheurs et cliniciens dans le monde. Les nombreuses études alarmantes se heurtent à la particularité de leur mode d’action. En effet, l’impact des perturbateurs endocriniens peut être plus fort à faible dose qu’à forte dose, et une très petite quantité peut suffire… On ne connaît pas le seuil pathogène responsable des effets toxiques. En outre, l’effet cocktail, c’est-à-dire l’impact de plusieurs substances agissant simultanément, complexifie encore la chose. Ainsi, des éléments qui individuellement n’ont pas d’effet peuvent induire un effet en présence d’autres molécules. Une chose est sûre : les perturbateurs endocriniens sont toxiques pour les animaux. L’imprégnation des eaux en hormones anticonceptionnelles via les urines des femmes sous pilule entraîne des problèmes graves de féminisation des poissons. D’autres recherches in vivo ont permis d’établir un lien entre les phtalates et le Bisphénol A et la survenue de certains types de cancers hormonodépendants. Sur l’homme, les recherches sont délicates et limitées par des questions déontologiques… Historiquement, on peut se référer au cas du Distilbène, une hormone de synthèse prescrite aux femmes enceintes jusqu’en 1977 notamment pour prévenir les fausses couches. Les enfants exposés in utero, et en particulier les filles, ont développé des malformations et cancers du vagin et de l’utérus.

Est-il possible de se prémunir contre les perturbateurs endocriniens, et, si oui, de quelle manière ?

Le risque zéro est hors de portée, car ces substances chimiques sont omniprésentes au quotidien. Il est toutefois possible de limiter son exposition en changeant ses habitudes de vie, ce qui a pour effet d’en diminuer la concentration dans l’organisme. Il faut apprendre à lire les étiquettes pour débusquer les perturbateurs endocriniens, comme dans les cosmétiques. À traquer particulièrement : les conservateurs de type parabène (butylparabène, éthylparabène, méthylparabène, propylparabène), le phénoxyéthanol, le triclosan ou encore le BHA. Les filtres chimiques à UV présents dans les crèmes solaires comme le benzophénone et l’oxybenzone sont aussi à fuir. De manière générale, si on peut se le permettre, mieux vaut privilégier les produits bio ou 100 % d’origine naturelle. Face au grand nombre d’ingrédients à surveiller sur les étiquettes, on peut se référer à la base de données Skin Deep Consmetics Database, mise en ligne par l’association de protection de la santé humaine EWG (Environmental Working Group).

Ces mesures sont particulièrement importantes pour les femmes enceintes ?

En effet, les embryons et les fœtus sont particulièrement exposés, et les effets des perturbateurs endocriniens peuvent être dramatiques en termes de mortalité intra-utérine, de retard de croissance, d’anomalies de la dif­férenciation sexuelle et du développement du système nerveux. Les bébés et les petits enfants sont aussi concernés.

Pour autant, selon vous, tous les perturbateurs endocriniens ne sont pas à proscrire totalement…

La pilule jusqu’à quarante ans ou les traitements substitutifs hormonaux de la ménopause (quand ils sont nécessaires), rendent de grands services en permettant aux femmes de contrôler leur fécondité et de rester actives dans une société qui exige d’elles qu’elles soient au top de leur forme. De même, dans les sondes médicales, par exemple, les plastiques auxquels on a ajouté des substances chimiques perturbatrices endocriniennes pour les rendre plus souples permettent d’éviter des traumatismes physiques lors d’une intubation, par exemple… Tout est une question de balance bénéfices/risques. Il faut aussi savoir que les perturbateurs endocriniens peuvent être d’origine naturelle. Il en existe pléthore, du soja qui contient des phytœstrogènes à certaines huiles essentielles comme la sauge sclarée. En cas de cancer ou de pathologie hormonale, il vaut mieux alors prendre l’avis de son médecin endocrinologue avant d’utiliser de tels remèdes naturels.

À un niveau plus global, comment lutter contre ces produits chimiques soupçonnés d’être si néfastes pour notre santé ?

Dans ce domaine, la France se positionne à l’avant-garde, car elle a interdit dès 2010 l’utilisation du Bisphénol A sur son territoire et les phtalates en 1999. Ceci dit, leur présence dans des produits d’importation n’est pas à exclure, sans compter les produits de substitution comme le Bisphénol S, utilisé dans les biberons, qui pourrait perturber les réponses cellulaires à l’œstrogène de la même manière que le Bisphénol A. Au-delà, c’est toute une réglementation au niveau international qu’il faudrait mettre en place. À Bruxelles, une tentative d’encadrement a été faite, préconisant une interdiction a priori des perturbateurs endocriniens, indiquant simplement que les produits suspects seraient étudiés au cas par cas après leur mise en circulation, pour être éventuellement interdits si des effets néfastes sur la santé étaient avérés. Ces critères, très insuffisants, n’appliquent pas le principe de précaution, et ils viennent d’ailleurs d’être rejetés en octobre dernier par le Parlement européen, ce qui constitue une avancée certaine. En attendant que la réglementation progresse, les autorités sanitaires pourraient réfléchir à la mise en place d’un système d’étiquetage informant de la présence ou non de perturbateurs endocriniens dans les produits, ou précisant s’ils sont dangereux pour les femmes enceintes et les jeunes enfants. De même, des solutions novatrices d’épuration des eaux usées chargées en produits hormonaux devraient être trouvées. Il est urgent d’agir. À mon niveau, au cours de mes consultations d’endocrinologue, j’observe depuis quelques années une multiplication des cas de gynécomastie chez de jeunes hommes, c’est-à-dire une poussée mammaire anormale, que rien n’explique à l’issue de l’interrogatoire, hormis une imprégnation par les perturbateurs endocriniens liée au mode vie.

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